Lors de mon récent voyage en Inde, la visite de certains lieux m’a troublée. Peu après notre arrivée en Assam, Usha nous a emmenées dans une ferme. Une maison hors du temps, en pleine nature, dont les jardins donnaient sur un lac et, au-delà, sur une forêt vallonnée. La beauté du paysage m’a transpercée, mais ce qui m’a aussi émue, c’est l’adéquation que j’ai cru percevoir entre le couple qui habitait là et la maison elle-même. Umi et son mari me paraissaient avoir trouvé la paix. Ils semblaient ne faire qu’un avec leur environnement, et cet environnement me faisait l’effet d’un jardin d’Eden, accueillant, harmonieux, luxuriant. J’ai conscience d’avoir idéalisé l’ensemble. Je ne connaissais rien de la vie de ce couple et l’endroit est probablement beaucoup plus difficile à vivre pendant les moussons, mais peu importe. Ce qui compte pour ce dont je veux vous parler dans cette lettre, c’est mon ressenti.
Plus tard, nous avons dormi dans un lodge, près du parc naturel de Kaziranga. Ce lodge avait été construit trois ans plus tôt par un couple, Anna, écossaise, et Champak, indien originaire d’une autre partie de l’Assam. Le romantisme qu’ils dégageaient, associé au charme magnétique de leur domaine (cf la photo ci-dessus) m’évoquaient Out of Africa. Anna et Champak avaient choisi leur lieu. Ils s’étaient construit leur ferme indienne avec courage et détermination. Je les trouvais « habités ».
Ces deux cas m’ont remuée. Il y a deux ans et demi, avec mon mari et mon fils, j’ai quitté la région parisienne et suis partie vivre à Montélimar, dans la Drôme. Nous avons acheté une grande et belle maison, que j’adore et qui m’apaise. Mes parents, ma sœur, mon beau-frère et leurs enfants vivent à côté. La plupart des jours, je me dis que j’ai trouvé mon lieu, que j’y suis bien, que c’est là que je veux m’ancrer. Mais voilà que ce voyage sème le doute : l’endroit que j’habite est-il vraiment celui qui me convient le mieux ? Dans un futur même éloigné, n’aurais-je pas envie de me réveiller dans un lieu aussi magique que celui d’Umi ou d’Anna et Champak ? Au fond de moi, je rêve d’un panorama. Je suis d’une nature contemplative. Une vue dégagée m’hypnotise, me donne des frissons, me fait respirer plus amplement. Cela faisait partie de nos critères de recherches quand nous sommes arrivés, mais j’ai rapidement compris que cette exigence compliquait tout. Je l’ai abandonnée en chemin, du moins c’est ce que je croyais.
Ce désir mal éteint soulève des myriades de questions. Mon désir est-il légitime ? Aux informations, j’entends parler de tant de gens déplacés, sans toit, privés de tout. Je me fais l’effet d’une enfant gâtée éternellement insatisfaite, en proie à un FOMO indécent. Une remarque de Champak, à ce propos, m’a fait réfléchir. Il connaît bien la France pour avoir habité un temps à Marseille (cet homme a vécu plusieurs vies). Je lui ai demandé ce qu’il avait pensé de la France. « Vous recherchez trop la perfection, a-t-il pointé. Vos attentes sont si élevées qu’elles vous empêchent de profiter de la situation présente. Ici en Inde, les gens ont un rapport différent à leur habitat par exemple. Les inondations sont si fréquentes qu’ils ont particulièrement conscience de l’impermanence des choses. Beaucoup de maisons risquant d’être détruites, ils ne les investissent pas plus que de raison. »
Son observation a mis en évidence le caractère illusoire de ma quête. Comme l’écrit Claire Marin dans Être à sa place, je m’imagine qu’il existe quelque chose comme « une ‘bonne’ place, une place qui nous convient, où l’on s’insère comme la pièce manquante du puzzle ». Mais ça n’est pas comme ça que ça marche. Nous ne sommes ni enracinés ni nomades. « Nous sommes dans l’entre-deux, des êtres toujours en mouvement, rappelle la philosophe. […] Nous ne restons jamais en place, même si nos voyages sont parfois immobiles et le lointain intérieur. »
Ce rappel ne doit pas m’empêcher de sonder mes aspirations. Pour mieux les cerner, je me suis penchée sur mes racines. Mon identité ne s’est-elle pas forgée au fil des endroits que j’ai habités ? J’ai alors réalisé que j’avais grandi dans une ville nouvelle… sans racines, justement. Enfant, la fenêtre de ma chambre donnait sur un parking bordé de lotissements. Au-delà, on distinguait un rond-point. Cette absence de charme a nourri mon envie d’habiter plus tard à Paris, dont la beauté et l’histoire me transportaient.
J’ai assouvi ce fantasme. Mais comme le rappelle Claire Marin, on évolue. Plus tard, par une suprême ironie, je me suis surprise à rêver d’habiter la maison d’Annie Ernaux… à Cergy, la ville nouvelle de mon enfance ! Dans un documentaire, on la voyait chez elle. La vue depuis ses fenêtres sur ce qui ressemblait à la base des loisirs – îlot de verdure bien connu des gens du coin – me paraissait époustouflante. Annie Ernaux avait beau se définir comme transfuge de classe et de ce fait ne jamais se sentir à sa place socialement, elle avait su se trouver un lieu ressourçant.
Je vais continuer de chercher le mien. Pas en vue de le posséder ou même de m’y fixer définitivement mais pour me nourrir de cette quête. « Comme les oiseaux migrateurs, on est toujours tentés par d’autres soleils, écrit encore Claire Marin dans son merveilleux essai. Mais il ne s’agit pas d’une fuite ou d’une simple succession d’étapes. Il s’agit de compter sur les rencontres, les lieux ou les espaces pour produire en nous ce qui s’essouffle : l’élan de la nouveauté, la capacité créatrice, le surgissement de l’inédit. »
Et pour boucler la boucle, je terminerai cette newsletter par une anecdote. Il y a quelques jours, mon père m’a confié qu’il aimerait bien retourner visiter à Paris l’appartement que ses grands-parents occupaient quand il était petit. Il en mourrait d’envie, il avait constitué tout un dossier pour convaincre les habitants actuels d’accepter de lui ouvrir la porte, mais il n’osait pas se confronter à l’inconnu. Je lui ai proposé d’aller voir. Je m’y suis rendue mercredi, les portes se sont ouvertes comme par enchantement, j’ai fait la connaissance d’un vieux monsieur charmant tout prêt à recevoir mon papa, mais surtout, j’ai découvert un appartement haussmannien magnifique, aménagé avec un goût exquis, conservé dans son jus, exactement le genre de lieu qui me plaît.
Mon prochain atelier : trouver son flow, mercredi 13 mars à 19h sur Zoom
Vous l’aurez compris si vous me lisez depuis un moment : mes ateliers en ligne sont un moyen d’ancrer ma quête personnelle dans une démarche collective.
Début 2024, j’ai lancé un programme, Focus sur l’essentiel, pour nous aider à adopter des comportements qui nous font du bien.
Le premier volet invitait à cultiver son pouvoir de concentration.
Le deuxième volet proposait de repenser ses habitudes.
Les replays sont disponibles ici et là.
Mercredi 13 mars, de 19h à 20h30, je vous transmettrai en live les clés que j’ai retenues pour accéder à l’état de flow. Cette « expérience optimale » étudiée par Mihaly Csikszentmihalyi ne relève ni de la magie, ni d’un super pouvoir réservé à quelques artistes de génie. La plupart d’entre nous peut y avoir accès s’il s’en donne les moyens.
L’inscription à 42€ vous donne accès :
Au live
Au replay permanent
Au support écrit
Au groupe WhatsApp reliant les inscrits
À une rencontre à Paris le jeudi 21 mars.
Vous pouvez aussi vous contenter de lire le livre de Milhaly, Vivre (le titre en anglais, Flow, The Psychology of Optimal Experience, est plus explicite). Ultra feel good, cet ouvrage paru il y a une vingtaine d’années est en train de changer mon regard sur le monde.
Samedi 16 mars à 15h30, rencontrons-nous au Salon La Vague des Livres de Villefranche-sur-Saône
Je suis invitée à venir parler de mon livre L’âge bête, paru en 2022 aux éditions Robert Laffont. J’évoquerai le rapport à l’adolescence, l’illusion des souvenirs et le processus de l’écriture introspective. L’entrée est libre et gratuite. Ça me ferait très plaisir de vous y voir !
Plus d’informations sur le programme ici.
L'anecdote de la fin me fait penser à une expérience similaire. En juin 2019, de passage en région parisienne, nous sommes passés tout près de la petite ville où était la maison de famille de mon grand-père. J'ai voulu la montrer à mon mari qui ne l'avait jamais vue. C'est maintenant un centre culturel pour la commune ouvert aux habitants. Une fête s'y préparait... j'ai ouvert la porte qui n'avait pas changée et j'ai posé les pieds sur les carreaux de ciments de mon enfance... et tout est revenu. J'ai envoyé une photo de ces carreaux à ma famille et ils ont instantanément réagit. Nous avons même pu a titre exceptionnel y organiser les 80 ans de mon papa avec ses cousins quelques mois plus tard. C'était très émouvant.
Les mêmes questions, au même moment ♥️ Après 13 ans et 18 maisons, je suis excitée et hantée par cette question: “chez moi”, c’est où? Je me suis sentie bien partout, chez moi partiellement, occasionellement. Est ce qu’on peut passer une vie à chercher son chez soi?