Nous mentons tous. Un adulte dirait entre 0,59 et 1,56 mensonge par jour. Personne n’y échappe. En société, nous apprenons très tôt que le mensonge peut nous éviter des ennuis, voire nous donner un avantage compétitif. Nous connaissons tous de grands menteurs qui réussissent très bien.
Personnellement, le mensonge me met mal à l’aise. Avant même que la question de la morale n’entre en jeu, cela provoque chez moi un inconfort physique. J’adore The Talented Mr Ripley et Un héros très discret, mais ces deux films me sont quasiment insupportables. Quand on tord la vérité devant moi, je perds mes repères. Je ne sais plus sur quel pied danser, je préfère fuir. Cette intolérance fait que j’ai un détecteur à bullshit plutôt fiable : je sens vite si l’on cherche à m’enfumer.
Assez logiquement, j’ai moi-même du mal à mentir. Cela m’arrive, quand mon intérêt est en jeu, ou pour éviter des situations trop pénibles, pour gagner du temps, pour ne pas blesser. Plus jeune, je mentais plus qu’aujourd’hui. Il m’est arrivé d’inventer une excuse pour éviter une soirée, ou de suivre les goûts d’un groupe pour ne pas risquer d’en être exclue. Je mentais alors parce que je n’avais pas les mots, ou par conformisme, mais je le faisais à reculons, dans la honte et la culpabilité.
Avec l’âge, je maîtrise mieux le langage et j’ai moins besoin de validation. Dans ces conditions, être honnête me paraît souvent l’option la plus simple. Quand je ne veux pas faire quelque chose, je le dis, au risque que cela ne convienne pas. J’essaie de le faire de manière respectueuse. Je n’y arrive pas toujours. Ma franchise est parfois trop abrupte, elle décontenance.
J’en étais là de mon rapport à l’honnêteté et au mensonge quand le concept d’honnêteté radicale est arrivé jusqu’à moi. Il est évidemment né aux États-Unis, pays où la question de la vérité polarise avec une fièvre peu commune. La première fois que j’en ai entendu parler, c’était dans la bouche de la sociologue et coach Martha Beck, au micro du podcast de Tim Ferriss. Un jour, un grave malaise a fait remonter en elle des souvenirs traumatiques d’inceste. Dès lors, elle a décidé qu’elle ne mentirait plus. Elle a trouvé le courage de parler sans plus chercher à protéger personne, ce qui a provoqué un tsunami familial, mais ce qui l’a aussi libérée. « Dites la vérité. Si les gens s’en vont, ce n’est pas grave. » (« You just tell the truth, and if people go away, that’s fine. »). Son conseil peut paraître simpliste, mais son histoire l’éclaire d’une lumière crue.
Un peu plus tard, j’ai lu Un monde sous dopamine. Dans ce livre dont je vous ai déjà parlé, la psychiatre américaine Anna Lembke consacre un chapitre entier à l’honnêteté radicale. Elle encourage les personnes sujettes aux addictions à « dire la vérité sur tout, aussi bien les petites choses que les grandes, en particulier quand cela dévoile notre manie et que cela porte à conséquences. » Elle reconnaît que c’est douloureux car on a été conditionnés à mentir, mais elle est convaincue que l’on a tout à y gagner. Parce que ça nous oblige à arrêter de nous raconter les histoires qui nous arrangent, et parce que cela nous permet de construire des relations humaines plus étroites – avouer notre vulnérabilité stimule l’attachement. Évidemment, tout dépend du contexte, Anna Lembke s’exprime dans le cas particulier des personnes dépendantes.
Cette semaine, je me suis demandé qui était à l’origine de ce fameux concept. Sur Wikipédia, j’ai découvert qu’on le devait à un certain Brad Blanton, psychothérapeute haut en couleur recommandant aux personnes qui souhaitent pratiquer l’honnêteté radicale « d’exprimer leurs sentiments sans ménagement et de manière directe ». Il les invite pour cela à « se mettre en connexion avec leur ressenti corporel, puis à exprimer ce qu’elles ressentent pour permettre à l’émotion d’être vécue, reconnue et de s’apaiser ». En face, l’autre accueille cette vérité brute comme il peut, même s’il précise que « radicale » n’est pas ici synonyme de « brutale » ou d’« obligatoire ». En 2014, le journaliste américain A. J. Adams l’a rencontré. L’interview (accessible en français) est hilarante, mais elle ne donne pas vraiment envie d’imiter ce personnage fort en gueule.
J’aspire à l’honnêteté, mais sans heurter l’autre. Serait-ce trop demander ? Peut-être pas, si j’accepte de troquer la radicalité pour la mesure. Si, dans une situation donnée, plutôt que de balancer le fond de ma pensée, j’essaie de comprendre jusqu’où je peux aller, et comment. Car l’expérience m’a appris que, dans la plupart des cas, il est très dangereux de dévoiler le fond de sa pensée, tant ce fond est nourri de croyances archaïques, floues, mouvantes. Ce n’est pas pour rien qu’après une dispute, on reconnaît que « les mots ont dépassé ma pensée ». Dire le fond de sa pensée, c’est verbaliser un magma qui n’est pas toujours vrai, même pour nous. Malheureusement, une fois lâché, sa portée peut être si violente que celui ou celle qui le reçoit ne l’oubliera pas. Blessé, il le ressassera. Et quand, un jour, il trouvera le courage de remettre le sujet sur la table, il fera face à une personne qui lui dira, en toute bonne foi, qu’elle n’a aucun souvenir d’avoir dit les paroles en question. Je le sais, car j’ai été, tour à tour, chacune de ces deux personnes. Et c’est la profondeur des dommages qui m’incite aujourd’hui à continuer d’essayer de m’améliorer.
Poursuivre cette honnêteté-là prend du temps. L’empathie requiert des efforts, une disponibilité, une prévenance que je ne peux fournir en continu. Face aux sollicitations, il m’arrive de ne pas répondre, ou de le faire de manière laconique. J’apprends à assumer. Je sais que je dois en passer par là pour être le plus délicatement honnête avec celles et ceux qui, dans le moment présent, font l’objet de mon attention.
Poursuivre cette honnêteté-là n’est pas sans risques. J’ai beau avancer prudemment, le terrain des relations humaines est incertain. Je me vautre régulièrement. Mais j’y retourne, m’adaptant à chaque pas. Et quand la relation sonne vrai, quelle joie !
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Yeah, c’est dur. J’entends et partage vos observations. Après, dire la vérité est différent de parler sans réfléchir, comme vous le dites si justement. Peut-être la clé est simplement de parler moins, entendre plus. Je sais que j’ai plus tendance à mentir quand je parle trop, surtout à des personnes que je ne connais pas assez bien. J’essaye d’éviter de longues conversations avec des personnes que je connais plus que des inconnus mais moins que des amis. C’est la où se situe ma zone de danger, et où j’ai tendance à dire trop pour être acceptée. Merci pour cette newsletter :)
Je n’aime pas mentir. Je préfère me taire. J’ai peur de me trahir plus tard. Et je déteste qu’on me mente, surtout quand le menteur et moi savons pertinemment qu’on est en train de me mentir. Je trouve ça insultant. Toute vérité n’est pas bonne à dire et le silence est un excellent échappatoire.