« On ne fait vraiment qu’une seule chose à la fois, a constaté mon amie Mathilde la dernière fois que je l’ai vue. En général, on n’en a même pas conscience sur le moment. On est toujours en retard sur soi. » C’était en janvier, on déjeunait ensemble chez Jeanne-Aimée, un restaurant que j’adore, car à l’intérieur il me semble que le temps s’arrête. « On ne poursuit qu’un seul but, a précisé Mathilde. On s’en rend compte plus tard, quand la séquence est suffisamment longue, que l’on a suffisamment de recul. »
De jour en jour, le mien m’apparaît plus clairement : me calmer, faire moins, prendre le temps de vivre. Les signaux se multiplient, tout en moi et autour de moi semble réclamer ce ralentissement, mais je résiste tant que je peux, prise dans les griffes d’une chronophobie aigue. J’ai découvert ce terme ce matin, par une synchronicité dont internet a le secret. La chronophobie désigne la peur intense et irrationnelle du temps qui passe. Elle peut résulter d’une anxiété liée à la gestion du temps quotidien. Les symptômes incluent des pensées obsessionnelles sur l'avenir, une inquiétude constante à l'idée de manquer de temps, ou une appréhension face aux échéances personnelles.
Cette semaine, j’ai frôlé la crise de panique quand j’ai réalisé que ma newsletter de dimanche allait encore me prendre plus de temps que prévu. J’avais choisi de parler de Cessez d’être gentil, soyez vrai, de Thomas d’Ansembourg. Ce livre, manuel de référence sur la communication non violente, me captive, mais il me fait tellement réfléchir sur ma situation personnelle que je ne peux l’intégrer qu’à petits pas. Mercredi, j’étais coincée : au rythme où j’allais, je ne l’aurai jamais fini à temps, mais je ne voulais ni changer de sujet ni le bâcler, l’ouvrage constituait une vraie rencontre et arrivait à point nommé.
Quand j’ai fait part de mes tiraillements à Mark, il m’a dit ce qu’il me répète depuis des mois : « Ce rythme d’un livre par semaine est trop rapide, tant pour toi que pour nous. Reviens à ton idée de départ : une ressource, pas forcément un livre, ça peut être une recette, une chanson, un film, et concentre-toi sur ce que cela t’a apporté. Tes lectrices suivent ton cheminement, pas un cours académique. » J’étais sceptique. « Pose-leur la question », m’a-t-il suggéré.
J’ai écrit un long message dans le groupe WhatsApp Matières à réflexion, où échangent mes abonnées payantes. J’ai aussitôt reçu une pluie de réponses unanimes : le rythme était effectivement trop frénétique pour elles aussi, Mark avait raison, elles m’encourageaient à lever le pied et me faisaient confiance, quoi que je déciderai.
Ces messages de soutien m’ont profondément émue et rassurée. Ils ont aussi mis en évidence ce que je refusais de voir. Celui de Lydia, en particulier, a remis les choses en perspective : « Pour moi qui cours après le temps et ai une pile à lire monstrueuse, il est infiniment rassurant de lire ton message ce matin. Un livre par semaine, ça me donne l'impression de ne pas arriver à suivre, alors que je me sens déjà dépassée en permanence, parce que ma charge de travail a explosé ces derniers mois. Nous ne sommes pas des machines. Même si l'époque se veut très "productiviste", j'aime bien l'idée de revenir à un rythme plus en phase avec notre humanitude, comme dirait Simon Sinek. Et même si nous sommes de grandes lectrices, la lecture n'est pas le seul moyen de grandir. Donc partager une ressource, quelle qu'elle soit, ne peut qu'être utile. L'essentiel c'est d'avancer, la taille des pas importe peu. »
Si je poursuivais à la même cadence, non seulement je faisais fausse route, mais en plus j’entraînais mes plus fidèles lectrices dans ma course. C’est ce qui a achevé de me convaincre que je devais changer, m’autoriser à respirer davantage, adopter un rythme plus naturel, rédiger des lettres dominicales plus courtes, plus légères, plus personnelles.
Cette évolution est difficile car elle me paraît trop belle pour être vraie. J’ai du mal à croire qu’écrire ma vie soit en train de devenir mon métier. Je n’aurais pas pu l’imaginer, même en rêve. Et pourtant, c’est ce qui se dessine grâce à vous. Ensemble, on invente une forme d’« écriture-réalité ». J’aborde mon quotidien comme une longue série d’expériences en temps réel dont je ne connais jamais le résultat. Je suis mon propre rat de laboratoire. Vous ne voyez pas tout bien sûr, mais je partage avec vous moult points d’étape. Vous observez, vous participez. Ma vie, en elle-même, n’a qu’un intérêt limité, mais suivre mon cheminement vous permet de tracer le vôtre. Par le jeu de l’identification, vous vous rencontrez – vous-même et entre lectrices (c’est palpable dans le groupe).
Sous vos yeux, j’apprends à m’affranchir de ce qui m’encombre. La pression du temps est peut-être celle qui pèse le plus lourd. Notre époque prône la vitesse. Nager à contre-courant paraît suspect, risqué, déraisonnable. Prendre mon temps attise ma peur de manquer. Je sais qu’adopter un mode slow implique de ralentir aussi sa consommation. C’est toute ma façon de vivre que je suis en train de repenser. Hors des sentiers battus, mais avec vous.
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Replay du live d’écriture
Jeudi dernier, nous avons exploré nos peurs ensemble pendant une heure, à travers quatre exercices très courts d’écriture introspective.
L’ambiance était douce et chaleureuse, l’expérience transformatrice d’après les réactions que j’ai reçues. Merci pour votre engagement !
Prochain live jeudi 6 mars, de 19h à 20h sur Substack (réservé aux abonnés payants).
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Tu as tout à fait raison de te diriger vers ce changement !
depuis que tu as décidé de suivre ce rythme je me suis dit "waou quelle discipline elle doit tenir pour arriver à cela", ce doit être au prix de renoncement à beaucoup d'autres choses...
ce que j'aime dans ton écriture (je suis une abonnée gratuite seulement mais je me sens concernée quand même) c'est l'analyse que tu fais de tout, la prise de distance qui t'animes sur la vie et le quotidien. j'adore comment tu penses et comment tu traduis tout ça en mots.
moi, même en ne lisant que les premiers mots de tes newsletters payantes, j'ai lu plein des livres dont tu as parlé !! mais c'est vrai que je n'arrive pas à suivre le rythme !!
la slow life, c'est le but ultime pour moi, alors fonce !!
Hello ! Étant moi-même larguée par le groupe WhatsApp (plus de 300 messages non lus !!), je t'écris ici. Je suis totalement d'accord avec ton mari et très preneuse d'une diversification de tes ressources (même si j'ai commandé le livre de Christophe André après t'avoir lue 😄). Et aussi les ressources pourraient peut-être de temps en temps être plus feel good et moins intellos, comme par exemple des pratiques (rando, running, admiration de paysage etc) ou des instants (la dessinatrice Margaux Motin partage des moments de bonheur avec les oiseaux dans son jardin et ça fait un bien fou et c'est aussi inspirant qu'un gros pavé scientifique).