Le restaurant est un de mes plus grands luxes. J’aime déjeuner ou dîner hors de chez moi. Changer d’air, mettre les pieds sous la table, me faire servir. Ne rien avoir à préparer, me laisser porter. Choisir, patienter, déguster. Pendant ce temps, me délecter du ballet des serveurs, de l’allure et de la conversation des clients. Le coût rend l’expérience encore plus précieuse. Le vendredi, notre déjeuner en amoureux avec Mark est ritualisé à l’extrême, ce qui nous permet d’en savourer chaque seconde, avant même de quitter la maison.
J’aime les restos parce que j’aime manger, mais cela va bien au-delà de la nourriture. Je les envisage comme un sas de décompression à l’écart du monde. Ils m’ont terriblement manqué pendant le Covid. Les devantures fermées me rappelaient à chaque coin de rue l’absence d’échappatoire. On ne pouvait vraiment plus aller nulle part ailleurs que chez soi. Quelle tristesse !
J’adore choisir un resto. J’ai mes exigences, mais elles n’ont rien d’absolu. Elles s’adaptent aux circonstances, à mon degré de faim, à mon humeur, aux personnes avec qui je suis. En temps normal, un menu en quatre langues me fait déguerpir, mais si je suis avec Gustave, je me contente de chercher une salade sur la carte. Il s’agit plus de vibrations que de critères à cocher. La vitesse à laquelle on nous accueille, l’entrain qu’on y met. L’état du store et du mobilier, le volume de la musique. Le style d’écriture sur l’ardoise, la joliesse des plats fumants sur les plateaux, l’éclat des verres, l’espace entre les tables, l’entente entre les serveurs. On sent vite si un lieu est tenu, si les patrons aiment encore leur métier, leur équipe, leurs clients.
Avec Mark, on se méfie des tables branchées. On préfère les brasseries, des lieux historiques qui ont résisté aux modes au point de se fondre dans l’identité de la ville. Je suis sensible aux zincs rutilants, aux nappes blanches, aux serviettes amidonnées, aux banquettes en moleskine, à la diversité de la clientèle. Quand les serveurs y sont encore en livrée, c’est le pompon. Cela ne m’empêche pas d’être ouverte à des lieux plus expérimentaux lorsqu’ils m’ont été recommandés par l’une d’entre vous (depuis le temps, vous connaissez mes goûts). Je me souviendrai toute ma vie de l’harmonie générale ressentie chez Timberyard, à Édimbourg. C’était il y a sept ans, mais je revois encore les bocaux de pickles parfaitement alignés aux murs, les carafes d’une transparence cristalline, les grandes tables en bois brut, la vaisselle en céramique d’une infinie poésie. On sentait dans chaque détail un étrange mélange de rigueur et de douceur. Et dans l’assiette, que de surprise et de fraîcheur ! Et la serveuse, quelle gentillesse, quelle précision dans le geste !
Je ne suis pourtant pas une cliente facile. En général, je préviens d’emblée qu’avec moi, ça va être compliqué. Je suis de ces personnes qui changent trois fois de table à leur arrivée (jusqu’à ce que je me sente parfaitement bien), puis qui demandent qu’on retire trois ingrédients de leur plat. À côté de moi, mon people pleaser de mari s’empresse de commander un steak-frites pour faire bonne mesure. Mais mes requêtes me permettent de faire connaissance avec celui ou celle qui va s’occuper de nous. Consciente qu’il fait un métier difficile, éprouvant physiquement, usant nerveusement, j’ai à cœur d’établir une vraie relation avec lui. S’il est seul à assurer le service en terrasse, je sais me montrer patiente et compatissante. Parfois, je m’essaie même à faire de l’humour. La plupart du temps, ça tombe à plat, mais Mark est là pour rattraper le coup. Quel que soit le déroulement du repas, nous savons tous les deux qu’au café il sera pote avec lui.
J’ai tant de restrictions alimentaires qu’à la lecture de la carte, je me concentre sur les salades, les poissons, les légumes. Je ne cherche plus tant à être surprise qu’à être rassurée : vais-je pouvoir trouver un plat avec du vert dedans, sans crème ni trop de sel ? Je vois tout de suite si le chef est branché végétal. Du chou saupoudré de noisettes torréfiées, des légumes racines, une poêlée de choux de Bruxelles me mettent en joie. Et quand je repère des poireaux vinaigrette au menu, c’est la fête : je sais qu’ils seront toujours meilleurs dans l’arrière-salle d’un bistrot que chez moi.
La qualité, l’intention, la maîtrise culinaire m’importent davantage que la quantité. Je n’ai pas toujours été comme ça. L’un de mes meilleurs souvenirs de restaurant reste attaché à un plat gargantuesque : le « sweet’n’sour chicken on rice » de Wong Kei, à Londres. Je ne sais pas ce qu’il en est maintenant, mais quand j’habitais la capitale anglaise dans les années 90, cette gargotte géante du West End servait à un rythme militaire des plats chinois bon marché dont ma sœur et moi raffolions. Peu intimidées par le « Upstairs ! » (« À l’étage ! ») hurlé aux touristes à l’entrée, nous grimpions les escaliers, nous trouvions un bout de table et commandions notre plat fétiche : une énorme portion de poulet frit enrobé d’une sauce aigre-douce à l’ananas, accompagnée d’un généreux bol de riz. Le mélange de textures était fou (tout comme la quantité de glutamate).
À l’autre bout du spectre, la succession de petites assiettes d’un repas gastronomique me met en transe. Près de chez moi dans la Drôme, je rêve de retourner au Domaine du Colombier, à Malataverne, ou au Clair de la Plume, à Grignan.
Enfin, j’aimerais terminer cette newsletter par un mot sur les toilettes. Traditionnellement négligé en France, cet espace est heureusement investi avec un soin maniaque par certains restaurateurs. Ces derniers savent comme moi qu’il est des signes qui ne trompent pas : quand j’arrive devant le lavabo, que le robinet est en bon état, qu’il y a un savon raffiné et des serviettes pour m’essuyer les mains, je sais d’expérience que le contenu de mon assiette sera bon.
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Ayant eu pendant 20 ans un restaurant dans le vieux Lisbonne, je vous parle en tant que connaisseuse!
Rien de plus important que l’accueil, une bonne lumière, un bon fond musical, du pain frais, un personnel souriant, une cuisine régulière, des prix normaux. J’ai eu pendant 20 ans le même personnel, les clients y sentaient une famille. En restauration on arrête pas de DONNER, mais on reçoit tellement en retour. Malgré que ce soit un boulot éreintant, j’ai fait cela avec une très grand passion.
Je reste attirée par les restaurants avec du charme, une bonne relation qualité/prix et une nourriture saine sans chichis.
J’estime qu’il y a beaucoup de ’mode’, des prix exorbitants et peu de bon service.
C’est encore un des seuls plaisirs qu’il nous reste dans la vie, à table, en duo, avec la famille ou entre amis.
J'aime bien manger au restaurant, moi aussi. Malheureusement, nous sortons de moins en moins, fatigués de tomber dans des restaurants où l'accueil est aussi pauvre que la qualité gustative des plats proposés. Je ne demande pas forcément de la grande cuisine . Je demande juste un bon moment, une nourriture digne de ce nom accompagnée d'un bon verre de vin. L'accueil et la gentillesse des personnes en salle sont essentiels.