Le voyageur contemplant une mer de nuages, Caspar David Friedrich, 1818
Je n’ai pas vu venir le down. La veille, j’étais retournée avec Mark voir le film Perfect Days, un bijou de zénitude. Le tourbillon de pensées noires m’a happée lundi matin, quand je me suis assise à mon bureau. L’enjeu de la semaine m’a sauté au visage. Après avoir passé des jours et des jours à prendre en main mon nouveau site internet, j’arrivais à l’épreuve du feu : allais-je savoir ouvrir les inscriptions à mon nouvel atelier et présenter le programme dans lequel je souhaitais l’insérer ? Technophobe, allais-je comprendre les indications de Delphine, la conceptrice de mon site… qui partait en vacances à la fin de la semaine ? Le défi était aussi technique qu’éditorial : je réfléchissais depuis des mois à un cycle d’ateliers sur la concentration et les habitudes. Allais-je être capable de transmettre les grandes lignes de ce que j’avais en tête ? Et est-ce que cela intéresserait certaines d’entre vous ?
Dès la fin de la matinée, mon mental avait répondu NON à toutes ces questions. Je ne comprenais rien à l’interface de SquareSpace, la plateforme de mon site. Delphine avait beau me faire des vidéos pour m’expliquer chaque manip, je les visionnais le regard fixe, aussi bloquée que lorsque le prof de maths m’enseignait les probas en prépa. À cela s’ajoutait des bugs sur Zoom, la plateforme de visionnage de mes ateliers. Je n’avançais pas. Je ne tiendrais pas mon calendrier. Je n’allais jamais m’en sortir.
Ces difficultés de boulot surgissaient sur un terrain instable. Mon dimanche n’avait pas été totalement zen. J’avais adoré le film de Wim Wenders, mais, stressée par la semaine à venir, j’avais basculé dans la compulsion au dîner. Vendredi et samedi, déjà, j’avais abusé des frites, du houmous et des fraises Picard, mon nouveau péché mignon (un délice fort digeste tant qu’on ne s’avale pas le sachet entier dans la soirée). Voilà plusieurs années que mon organisme ne sait plus gérer le mix « tension nerveuse + excès alimentaire ». Ce type de situation me fait aussitôt basculer dans la déprime.
À cela s’ajoutait un détail a priori anodin mais qui a joué. Dimanche, après le film et mon dîner trop riche, je me suis fait une session de tri photo. Ces dernières semaines, dans ma démarche de bilan annuel, je me suis mis en tête de passer en revue toutes les images que j’ai prises en 2023. Dès que j’ai un moment de libre, j’ouvre l’appli de mon téléphone et je passe en revue la myriade de photos et de vidéos accumulées – j’en prends vraiment beaucoup. Je regarde, je sélectionne, je supprime. Je pourrais lâcher l’affaire face à l’ampleur de la tâche, mais les choses ont pris un tour philosophique. C’est mon année que j’ai besoin de ranger. J’ai déjà trouvé l’album dans lequel je glisserai les 200 tirages finaux. Remonter ainsi le temps ne se fait pas sans dommage. À côté des moments merveilleux, beaucoup de souvenirs troubles refont surface. Je réalise que j’ai couru après des choses et des personnes qui n’en valaient pas la peine. Je revois mon visage, mes expressions, mes pauses sous toutes les coutures. Des captures d’écran me laissent perplexe. Et ce trop-plein, quel vertige ! Dimanche, j’ai refermé mon téléphone lasse et nauséeuse.
Cette conjonction de facteurs aurait pu me faire chavirer. Mais il faut bien que l’âge ait quelques avantages. À 47 ans, en vieille routarde de la déprime, je n’ai pas cru tout ce que mon mental me racontait. J’ai écouté les vagues de pensées négatives, j’ai observé les sensations que la peur provoquait en moi, j’ai laissé couler sans résister mais sans adhérer. Puis j’y suis retournée. Je me suis concentrée, j’ai appelé Delphine, j’ai trouvé un expert de Zoom. Je me heurtais à mes limites, mais ces limites n’étaient pas figées. Ce jour-là, rien n’allait, mais je me répétais que c’était passager. Tout passe, même le manque de confiance.
Après une bonne nuit de sommeil, je me suis réveillée le lendemain l’esprit clair, le moral de nouveau au beau fixe. Là encore, l’expérience a joué. Plus jeune, j’aurais embrayé sans chercher à comprendre, simplement ravie de laisser derrière moi mon coup de déprime. Aujourd’hui, je sais à quel point marquer une pause et me retourner sur un passage à vide est riche d’enseignements. Ce matin-là, mon flot de pensées a été d’une richesse exceptionnelle. Comme après un gros orage, l’air était d’une pureté cristalline. J’ai compris que je m’étais mis trop de pression. J’avais investi beaucoup de temps, d’énergie, d’argent dans mon nouveau site dans le but de développer mes activités. J’avais aussi beaucoup procrastiné. Maintenant que je m’y mettais vraiment et devais apprendre à le nourrir moi-même comme une grande, j’étais terrorisée à l’idée de mal faire. Mais l’important était que je fasse. Même lentement, même en me trompant.
Les jours suivants, j’ai réalisé que gérer mon site s’apparentait à démarrer un nouveau job. Je devais assimiler plein de connaissances d’un coup. Je manquais de repères, de méthode, de recul. Je me suis rassurée : j’allais m’accorder le temps qu’il me faudrait, m’appliquer et prendre soin de moi. Sur ma page de profil Instagram, j’ai ajouté : « J’essaie d’aller mieux. » Mardi soir, dans mon lit, j’ai repris mon journal et égrainé mes gratitudes. Toutes les micro-choses qui m’avaient réjouie ce jour-là. Ça m’a pris deux pages, je n’en revenais pas.
Le reste de la semaine a été en dents de scie. Jusqu’à ce matin, je ne savais pas si j’allais pouvoir vous annoncer mon nouvel atelier. Mais Delphine m’a soutenue avec patience et pédagogie, et la page d’inscription est désormais en ligne. L’atelier s’intitule « Cultiver son pouvoir de concentration » et se tiendra sur Zoom mercredi 10 janvier à 19h. Il y a quelques mois, j’ai suggéré ce thème au magazine Marie Claire. J’avais beaucoup de mal à fixer mon attention. Ma proposition a été acceptée. Je me suis jetée à corps perdu dans mes recherches. J’ai interviewé des experts, lu des livres, recueilli des témoignages. Mon article est à lire dans le numéro actuellement en kiosque, mais il était trop court pour transmettre tout ce que j’avais appris en chemin. Voilà comment est née l’idée de cet atelier. Il ne s’agit pas d’un cours. Cette newsletter en est la preuve : je suis loin d’être un maître en matière de concentration. Mais ce sont précisément mes difficultés qui me poussent à me documenter, à m’améliorer… et à partager le fruit de mes trouvailles avec vous.
Donnez-moi votre avis
La semaine dernière, vous avez été nombreuses à répondre à mon questionnaire en ligne sur cette newsletter, mon compte Instagram et plus généralement ce que je vous ai proposé cette année. Il est toujours possible de me donner votre avis ici.
Je n’ai pas encore eu le temps d’ouvrir toutes vos réponses, je me réserve ce plaisir pour les fêtes, mais ce que j’ai lu me réchauffe le cœur et me fait énormément réfléchir. Un immense merci !
Merci de partager tes moments de doute et de désarrois. C’est aussi une de tes facettes que j’apprécie. Tu n’es pas dans la plainte. Tu peux te sentir débordée et trouver des ressources en toi. Je vais aller voir de plus près ton atelier...
Merci pour ta vérité , ton cheminement. La déprime me gagne aussi . Tes mots m’aident à mieux comprendre et à dépasser mes angoisses . Merci