Des photos de la famille de ma maman.
L’archivage des photos est une de mes nombreuses obsessions. En exergue de son livre Le jeune homme, Annie Ernaux dit : « Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues. » J’éprouve moi aussi le besoin d’entériner ce que je vis par l’écriture, mais en plus il me faut la photo. Certaines personnes refusent d’en prendre, car cela les empêcherait de vivre pleinement le présent. Je serais tentée de leur donner raison, mais moi, je veux le beurre et l’argent du beurre : l’instant ET le souvenir.
À notre époque, ce n’est pas sans conséquence. Mon téléphone est plein d’images. Les trier prend du temps, de l’énergie. Après des années d’anarchie, j’ai décidé d’une discipline, trouvé mon système. Au quotidien, quand j’ai un moment de libre, plutôt que d’ouvrir Instagram, je range mon appli photo. J’ai créé un dossier par mois. En fin de mois, je filtre encore et imprime les meilleures*. Recevoir les tirages me met en joie : je revis des moments, le rendu papier ajoute quelque chose à celui de l’écran. J’écris au dos le nom des personnes, le lieu, la date (c’est facile avec la géolocalisation et l’horodatage du téléphone). Puis les images se baladent. J’en aimante sur le frigo, j’en colle sur les murs de mon bureau. J’en donne à mes parents, à ma sœur, à Mark pour son mood-board. Dans la famille, on a une grosse culture photo, tendance fétichiste, donc tout le monde apprécie. Fin 2023, j’ai repris les douze dossiers mensuels et rassemblé les photos de l’année dans un album, que j’ai choisi avec un soin maniaque**.
Je n’étais pas peu fière d’avoir mené ce travail à bien quand Lili, cette semaine sur Instagram, a remis ma démarche en perspective. J’avais posté une image de mes carnets. Elle se souvenait que, par le passé, il m’était arrivé d’en mettre à la poubelle. Elle se demandait si ce n’était pas ce qu’elle devrait finir par faire avec ses albums-photos, dont ses armoires sont pleines. « À quoi bon en faire des dizaines pour que dans deux générations plus personne ne les consulte et qu’on laisse à nos descendants la lourde décision de les jeter ? », s’interrogeait-elle.
Ce matin, j’ai relayé son propos dans un post. Dans les commentaires, beaucoup se sont émues à l’idée que l’on jette des photos, support d’une mémoire familiale. Sacrilège ! Je comprends malgré tout Lili. Si ses armoires sont pleines d’albums, c’est qu’elle y accorde une grande importance, mais sa question souligne que cet archivage pose des problèmes concrets. Des archives prennent de la place. Quelle sélection faire quand on n’a pas une grande maison pour les stocker ? Et comment identifier qui est qui sur chaque image ? Lili le rappelle bien : au-delà de deux générations, la mémoire orale se perd. Et comment savoir si cela intéressera quelqu’un ? Pour toutes ces raisons, je ne juge pas les personnes qui ne s’encombrent pas de telles traces du passé.
Archiver des photos de famille en 2024 exige patience et constance, mais à en juger par l’enthousiasme de vos réactions à mon post, il semblerait que ce soit le cas pour nombre d’entre nous. Souvent pour les mêmes raisons : un intérêt intrinsèque pour la photographie, l’envie de retenir le temps et de transmettre son histoire, mais aussi, face à des photos anciennes, l’exploration de ses racines, le goût du mystère et du romanesque, la curiosité de se retrouver dans les traits des visages de ses aïeux. Regarder une photo de famille, c’est plonger en soi.
L’expérience est plus facile quand des parents ont fait leur part du travail. À ce sujet, j’ai l’immense chance de pouvoir compter sur mon père, qui conserve tout avec une précision de greffier, scannant diapos et tirages, datant chaque document. Ma mère a quant à elle gardé quantité de portraits sépia dans un carton et se montre intarissable dès qu’il me prend l’envie de le consulter.
Je me dis que je devrais enregistrer mes parents, prendre des notes pour plus tard, quand ils ne seront plus là. Identifier les têtes, recueillir les histoires, légender. Écrire l’histoire de ma famille, littéralement. Je suis journaliste après tout. Mon rôle semble tout trouvé.
Pour le moment, le courage me manque. Je m’en veux un peu. Dans ma précédente newsletter, je vous parlais du flow, cet état que l’on atteint lorsque l’on fait ce que l’on aime avec tant de fluidité que l’on en perd la notion du temps. Je sens bien que cette activité d’archivage pourrait avoir cet effet-là sur moi, tant elle réunit tout ce que j’aime.
*Pour mes tirages photos, je suis longtemps passée par l’appli Cheerz, bien faite, mais leur format 11x15cm n’est pas compatible avec les albums-photos à pochettes, qui se sont avérés mes préférés et qui ne contiennent que des images 10x15cm. Je me suis rabattue sur l’appli Lalalab, que je trouve parfaite.
**Après beaucoup de recherches d’albums-photos et moult essais, j’ai jeté mon dévolu sur ce modèle Hema. Je n’aime pas les livres-photos, je suis attachée au charme des tirages. Et comme je change plein de fois l’ordre des photos, je préfère les pochettes aux albums dans lesquels on colle les images. En plus je doute de la tenue de la colle dans le temps.
Mon atelier « Repenser ses habitudes » mercredi prochain sur Zoom
Vous connaissez mon goût pour les rituels, les micro-changements, l’amélioration continue par l’observation et l’ajustement. Afin d’effectuer chaque geste de manière encore plus consciente et concentrée, je me suis documentée sur le fonctionnement des habitudes. J’ai beaucoup appris, mais les théories exposées m’ont souvent paru excessivement compliquées. J’ai donc décidé de construire un atelier pour synthétiser ce que j’avais retenu de la manière la plus claire possible.
Il se tiendra le mercredi 31 janvier de 19h à 20h30 sur Zoom.
Vous pouvez vous inscrire sur mon site.
Le tarif de 42 euros comprend :
- L’accès au live
- Le replay permanent
- Le support écrit
- L’accès au groupe WhatsApp reliant les inscrites
- L’accès à une rencontre à Paris le 21 mars prochain.
Je vous présenterai le programme de l’atelier ce lundi (28 janvier) dans un live à 19h sur mon compte Instagram.
Cet atelier constitue le 2e volet de mon programme Focus sur l’essentiel.
Le 1er atelier s’intitulait « Cultiver son pouvoir de concentration ».
Le live est passé, mais le replay est disponible ici.
J’y transmets mes clés pour mieux comprendre le fonctionnement de l’attention et adopter une forme de minimalisme digital adaptée à ses besoins.
Identifier les protagonistes sur la photo et dater voilà une excellente pratique pour préserver la mémoire familiale. Connais-tu le livre "Les gens dans l'enveloppe" d'Isabelle Monnin ? Il mêle roman et enquête à partir de photos de famille anonymes dénichées dans une brocante.
Merci pour tes mots Géraldine. Ca fait écho je trouve à la notion d'historicité dans les réseaux sociaux, et de la façon dont nous pourrons un jour avoir accès à nos "retours mémoriels". Très peu de plateformes nous laissent finalement accès à nos archives, de façon bien organisée, sensible. Se pose aussi la question de la pérennité de cet accès : si MySpace a opéré une "purge", n'est-ce pas un immense danger si un jour Google ou Facebook faisaient disparaître ces traces ? Les Japonais parlent de la notion de fuubutsushi (j'en parle ici https://laurentfrancois.substack.com/p/retrouver-ses-racines ). Peut-être qu'il faut réinvestir sur de bons vieux albums. Ce qu'il restera de tangible,, avec les souvenirs ?