Dans un chapitre de mon livre L’âge bête, je raconte l’importance que la presse féminine revêtait à mes yeux lorsque j’étais ado : « Dévorer de A à Z les magazines de mode ne me suffisait pas. Pour les absorber plus complètement, il me fallait en extraire les images qui continueraient de m’accompagner des années durant. Je sélectionnais les publicités, les photos de défilés, les pages mode qui me faisaient vibrer, puis les rangeais dans des pochettes plastique ou les collais sur mes chemises de cours, dans mon agenda, sur les murs de ma chambre. Ce sont ces images qui ont le plus puissamment formé mon goût. »
Avec le temps, cet intérêt visuel a changé de support : du papier, il est passé au numérique. À la différence de la journaliste Mona Chollet, qui ausculte son rapport quasi-obsessionnel à Pinterest dans son dernier essai, D’images et d’eau fraîche, il m’arrive de créer mes propres images. Mais la plupart du temps, comme elle, ce sont celles des autres qui m’intéressent. « Je me contente de les fréquenter, de les admirer, de m’en repaître, de m’y baigner, comme Cléopâtre (et Maria Carey) prenait des bains de lait d’ânesse ». La lire m’a aidée à comprendre tout ce que m’apporte la contemplation de photos, de peintures et de dessins.
D’où mon intérêt pour les vision boards, présentés ces dernières semaines sur les réseaux sociaux comme un bon outil pour se projeter dans une nouvelle année. Ces « tableaux de visualisation » sont des collages d’images et de mots représentant nos désirs. Garder le résultat sous les yeux nous aiderait à les matérialiser. J’en entendais parler depuis longtemps, mais le format m’intimidait. Comme me l’écrivait Stéphanie ce matin sur Instagram, je ne savais pas par quel bout le prendre.
Le livre d’Anne-Françoise Lebrun, Réalisez vos rêves grâce au vision board, a joué le rôle de clé d’entrée. L’autrice insiste sur l’importance de la préparation. J’ai fait le point avec vous sur ce que je souhaitais pour 2023, mais cela restait très intellectualisé. Passer aux images m’a permis de m’affranchir du mental. J’ai procédé par étapes.
J’ai commencé par éplucher ma collection de ELLE, pour me rendre compte que je n’y trouvais rien. Depuis mon adolescence, mes goûts ont évolué. Je ne parviens plus à me projeter dans des visages et des corps féminins standardisés. J’avais envie d’autre chose, mais de quoi ? J’ai ouvert les magazines que Mark aime lire. Condé Nast Traveler, Suitcase, House & Garden. La vue de paysages déserts, de brassées de fleurs, d’artistes dans leurs ateliers m’a réveillée. Voilà, c’était vers ça que j’avais envie de m’évader. C’était à cela que j’aspirais, sans même en avoir conscience. Je me suis mise à arracher plein de pages, sans chercher une cohérence avec mes objectifs consignés par écrit, tout à ma joie de plonger dans mon imaginaire.
À la fin de cette première séance, j’avais plus d’images que ce que la grande feuille que j’avais prévue pouvait contenir, mais ce n’était pas suffisant. L’exercice m’avait mise en appétit. J’avais faim d’imprimé, de papier glacé, de coups de ciseaux. Je venais de renouer avec une passion ancienne, dormante, prête à redevenir dévorante. Quelques jours plus tard, de passage à Lyon, j’ai fait une descente dans une maison de la presse bien fournie, abordant les rayons de manière inédite : je ne cherchais plus de quoi lire, je voulais seulement me repaître d’images. Je suis repartie avec Voyage Voyage, un hors-série de Philosophie Magazine sur Sempé, le premier numéro de Beau Demain. J’ai passé une part non négligeable de mes vacances de Noël à les dépiauter, mais cela non plus n’a pas suffi. En bonne junkie, j’en voulais toujours plus.
Alors je suis passée aux livres. J’ai parcouru les rayonnages des bibliothèques de la maison, ouvert mes plus beaux ouvrages – souvent pour la première fois. Je rêvais depuis des années d’y donner des coups de cutter sans avoir jamais osé commettre un tel sacrilège. Comme je comprenais Karl Lagerfeld, qui avait l’habitude d’acheter ses livres en double, un pour ses découpages, l’autre pour ses archives !
Face à mes exemplaires uniques et poussiéreux, quelque chose a lâché. Je me suis autorisée à en extraire les pages qui me procuraient de la joie. J’en profiterais bien davantage en les ayant tous les jours sous les yeux. Je n’ai pas pu passer à l’acte avec tous les livres qui me faisaient envie, mais quand j’y suis arrivée, j’ai éprouvé une sensation de libération et d’appropriation : ces images devenaient enfin vraiment miennes.
Une fois mon stock d’images suffisant, j’ai consacré un autre après-midi à leur juxtaposition. Dans son livre, Anne-Françoise Lebrun recommande de commencer par organiser son vision board de manière provisoire. De disposer les éléments, puis de marquer une pause avant de procéder au collage, afin d’avoir un regard neuf sur son tableau. Je me suis installée dans notre salle à manger et j’ai recouvert notre table de 2,40m des images qui me faisaient le plus vibrer.
Alors seulement mes contradictions m’ont sauté aux yeux. Je ne voulais pas peindre mais il y avait plein de pinceaux dans ma sélection. Je cherchais des moyens de me connecter autrement à ma communauté mais il y avait là beaucoup de personnes seules. Je ne voulais plus jardiner mais deux jardiniers figuraient en bonne place dans ma composition.
Perplexe, j’ai tout transporté dans mon bureau et me suis mise à coller chaque image sur le grand mur laissé vierge. J’avais l’impression d’être dans une enquête policière. Je ne comprenais plus rien, j’avais besoin d’une vision d’ensemble pour espérer me connecter à mon inconscient.
Mark est venu me voir. « Avec quoi tu colles tes images ? », s’est-il enquis, suspicieux. Je lui ai montré une vieille planche de Patafix. « Tu n’as pas peur que ça abîme le mur ? », a-t-il ajouté, les sourcils froncés – chez nous, il a toujours eu à cœur de faire encadrer la moindre affiche choisie ensemble. Mon sang n’a fait qu’un tour. « J’adore la Patafix. Ça fait dix ans que j’ai envie de pouvoir en coller partout. J’ai besoin d’un rapport direct aux images qui me touchent. J’ai besoin de pouvoir les coller, décoller, recoller quand je veux, aussi souvent que je veux. Je m’en fiche du mur. Je le repeindrai, ou je le recouvrirai d’autres images. De toute façon c’est mon mur, mon espace, ma chambre à moi. » Prenant la mesure de la symbolique de l’affaire, mon chéri m’a laissée seule avec mes papiers au mur.
Depuis, je ne me lasse pas de les contempler. J’y ai ajouté des photos personnelles, de moi et de mes proches. Quand une image ne me fait plus d’effet, je la retire. Lundi à Paris, j’ai passé une heure chez WHSmith à choisir la matière première de mon prochain shoot visuel. J’ai flashé sur le dernier Blumenhaus et deux numéros de la revue les others. L’ensemble ne sera jamais fini. On pourrait croire qu’il n’a plus grand-chose à voir avec un vision board. Dans mon esprit, pourtant, c’en est un. Il dégage une énergie particulière. J’ai trouvé là un nouveau mode d’expression, moins intimidant qu’un art véritable. Lise Huret appelle ça ma « soupape créative ». Elle sculpte dans la terre des animaux totems, Mark écrit des histoires, mon fils invente des villes. Moi, je me projette dans un tableau d’images. Cela m’ancre dans quelque chose de bien plus profond que des objectifs fixés rationnellement. Le regarder m’aide à garder en ligne de mire la vie créative et libre dont je rêve.
Des liens pour aller plus loin
Road-trip bouffo-littéraire
Aujourd’hui sort le livre American appétit d’Elisabeth Debourse, rédactrice en chef du Fooding. Ce qu’elle en a écrit dans sa dernière newsletter, en pleine trêve des confiseurs, me donne envie de plonger dedans.
Andrée Putman, la grande dame du design
J’ai eu une semaine trop intense pour trouver le temps de visionner ce docu disponible sur Arte, mais comme tout le monde j’admire Putman et vous êtes dix à me l’avoir recommandé. De quoi le placer tout en haut de ma liste de trucs à voir.
Après la colère, de Mai Hua et Jerry Hyde
Mais avant Putman, je regarderai les deux premiers épisodes de cet autre documentaire, cette fois réalisé par mon amie Mai Hua et son compagnon Jerry Hyde, qui organise des thérapies de groupe en pleine nature. J’avais failli partir avec eux au Népal, en 2020. Le Covid en a décidé autrement. J’aime le regard de Mai. Son film Les Rivières m’avait bouleversée.
Des carnets pour mesurer le temps
En ce moment, je suis obsédée par l’idée de trouver mes propres outils pour organiser mes journées. Je repense souvent à cette vidéo de l’artiste Camille Bondon, dans laquelle elle présente des agendas et des calendriers d’inconnus. Elle date de 2018 mais continue de me parler.
Une autre forme de collage
L’agenda de Janice McDonald donne envie de démarrer son propre agenda, non ?
Signature de mon livre à Montélimar vendredi prochain
Retrouvez-moi vendredi 27 janvier à 19h à la Nouvelle Librairie Baume, 52 rue Pierre Julien, 26200 Montélimar. J’y dédicacerai L’âge bête et serai très heureuse de vous y rencontrer.
Mes ateliers newsletter
J’ai commencé le 11 janvier une série de cours en ligne Réussir sa newsletter.
L’atelier 1 « 10 conseils pour réussir le lancement de sa newsletter » est disponible en replay ici (35€), avec un accès (sur demande) au groupe WhatsApp des participantes.
L’atelier 2 d’approfondissement se tiendra le mercredi 1er février de 19h à 20h30. Vous pouvez vous y inscrire là (35€ le live + le replay 30 jours).
Merci pour cette newsletter ! J’en sors inspirée ! Insta et Pinterest ont remplacés mes magazines d’ado et Google agenda mes agendas papiers. C’est tellement pratique… mais on perd tellement de champ créatif ! Je crois que je vais me racheter un agenda papier et des cartouche d’encre pour l’imprimante 😊✂️❤️
Inscrite à l'atelier !
Merci pour tout ce que je vais découvrir grâce à cette newsletter, bon week-end !