Bien dans mon assiette
Il y a quelques jours, j’ai décidé que mes TCA (troubles du comportement alimentaire) deviendraient un sujet récurrent sur mon compte Instagram. Je n’ai jamais caché que j’étais sujette à des compulsions – envies de manger sans faim, de manière irrépressible, avec un sentiment de culpabilité –, j’ai écrit dessus dans mon premier livre Un cancer pas si grave et j’aborde parfois le thème en newsletter, mais sur Instagram, je ne m’étendais pas. Le sujet était encore trop compliqué pour moi, j’étais trop enlisée dans mes crises, trop sensible à la critique.
Or cet été, des choses importantes se sont dénouées intérieurement. Terminer l'écriture du livre sur mon adolescence m’a fait grandir. Grâce à cela, ces jours-ci, c’est comme si toute ma démarche d’introspection engagée depuis plus de vingt ans – psychothérapie, écriture, lectures, méditation, yoga, discussions avec des amies aussi passionnées que moi par le sujet – me permettait de franchir un nouveau cap. Cela s’est traduit par un mieux-être général… et par un franc recul des compulsions. Aucun miracle, aucune recette magique là-dedans, plutôt l’aboutissement d’un long et lent travail sur moi.
Je vous en parle d’emblée car ça me semble le plus important : avec les TCA, la nourriture est une métaphore, le problème n’est jamais uniquement alimentaire. Pour espérer améliorer son rapport à la nourriture, une approche plus globale est nécessaire. Mes compulsions avaient des facteurs psychologiques et des facteurs physiologiques : non seulement il m’a fallu apprendre à décoder mon inconscient, mais j’ai aussi dû écouter mon organisme… tout en sachant que je n’aurai jamais le mode d’emploi complet, car l’esprit, comme le corps, demeurent opaques. Ce cheminement est si subtil et singulier – personne ne fonctionne de la même manière – que je ne suis pas surprise qu’il m’ait fallu attendre d’approcher la cinquantaine pour voir le bout du tunnel.
Ça ne veut pas dire que ça sera aussi long pour vous : notre époque permet un degré d’entraide inédit, notamment via les réseaux sociaux et les associations, ce qui laisse augurer d’un moindre isolement et d’un meilleur accès à l’information, deux éléments essentiels sur la voie de l’amélioration. Comme le temps où je me connectais au site boulimie.com au début des années 2000 me paraît loin ! Mais quel soutien incroyable j’ai trouvé dans ce groupe ! C’est pour cela que prendre enfin ce sujet à bras-le-corps sur mon compte Instagram me touche profondément : jamais je n’ai autant eu l’impression que nous formions une communauté que ces derniers jours.
Cela étant dit, place aux réponses à vos questions. J’en ai reçu plus de 150 en stories. J’ai synthétisé celles qui revenaient le plus souvent, je répondrai ultérieurement aux autres dans une seconde newsletter et dans des posts Instagram.
Comment distinguer compulsion, boulimie, hyperphagie ?
Je m’y perds moi-même. Heureusement Nour Dagher-Rovani, lectrice de mon compte et médecin nutritionniste, m'a éclairée :
« Syndrome boulimique, ou boulimie ou boulimia nervosa : sur le plan médical, il y a des accès compulsifs intenses (pas du grignotage, qui lui est considéré comme normal, ça arrive à tout le monde, ça n’impacte en rien la santé), répétés et des mesures compensatoires de purges (laxatifs, vomissements auto induits). Les conséquences peuvent être très graves.
Compulsion : elle peut être plus ou moins fréquente / intense / grave. C’est un acte isolé, un grignotage qui dégénère.
Hyperphagie ou hyperphagie boulimique ou binge eating disorder (BED) : ce sont des compulsions très fréquentes / répétées, des prises alimentaires parfois non choisies juste pour le besoin de se remplir, sans purge derrière. Cela aboutit à des obésités massives (tous les obèses n’ayant pas des BED).
Hyperphagie prandiale : c’est le grand gourmand qui mange beaucoup à table, se ressert, mais sans culpabilité et sans manger entre les repas.
Après il y a des transferts parfois, le plus fréquent étant le passage d’une anorexie restrictive pure a des accès compulsifs parfois boulimiques. Mais ces virages peuvent être transitoires avant une phase de rémission, voire de guérison. »
Comment cela a-t-il débuté pour toi ? Quelle fut la genèse de tes troubles ?
Je crois que j’avais un rapport à la nourriture à peu près normal lorsque j’étais petite fille. À l’adolescence, sensible à la pression ambiante (les régimes d’une amie, de ma mère, les pubs, la presse féminine, tout le monde en fait), j’ai commencé à culpabiliser de manger des choses « qui font grossir ». En rentrant de l’école, je pouvais m’enfiler un paquet de Prince devant Jeanne & Serge sans m’en rendre compte, puis m’en vouloir. Mais ça restait circonscrit à quelques moments dans la semaine.
C’est après le bac que ça a vrillé. En prépa, mes repas se sont destructurés, mais il fallait tellement bosser que je n’avais pas trop le temps de me lâcher. En école de commerce, ça a été la descente aux enfers. J'avais honte de mes crises, j’en parlais peu. Je ne comprenais pas ce que j’avais. Je n’ai entendu pour la première fois le mot « boulimie » qu’en 1999, quand je terminais mes études. Connaître le terme a été une révélation. Nommer, c’est faire exister. Je n’étais pas folle. D’autres que moi étaient atteints de la même chose. J’allais pouvoir essayer de trouver une solution. J’ai commencé à me documenter.
En 2000, je suis partie vivre un an à Londres. Davantage de barres chocolatées dans les magasins, mais aussi davantage de bouquins de self help dans les librairies. J’ai réalisé que je souffrais alors plutôt de binge eating disorder. Un ouvrage recommandait le lâcher prise total. Je me suis exécutée. J’ai grossi mais je ne suis pas devenue obèse, je faisais une taille 42. J’ai compris qu’en dépit de ma relation compliquée avec mon corps, j’avais un sacré métabolisme. La réconciliation avait commencé.
De retour à Paris, j’ai démarré un premier vrai boulot, emménagé dans un studio. Une installation qui m’a aidée à mieux m’accepter telle que j’étais. Les crises ont reflué. Rencontrer Mark, puis devenir journaliste à L’Express sont deux événements à partir desquels les choses se sont encore beaucoup améliorées, y compris, donc, d’un point de vue alimentaire. L’amour et mon nouveau métier m’ont permis d’atteindre une forme d’équilibre.
En 2011, j’ai accouché de Gustave, reperdu très vite et sans effort tous mes kilos… puis, patatra, les ennuis ont recommencé, sans que je ne me l’explique vraiment. La machine s’est grippée. Je me suis mise à faire de plus en plus de crises de sucré. Je constatais que mon corps le supportait de moins en moins (maux de ventre, maux de tête, déprime, psoriasis, agressivité) mais je me sentais impuissante et piégée. À partir de là, j’ai compensé par le running et une alimentation plus saine et structurée en dehors des compulsions. Ce n’était pas de l’orthorexie, plutôt un socle de bonnes habitudes qui ne m’ont plus quittée, que je n’ai plus fait qu’affiner pour me rapprocher de ce dont mon corps a besoin.
En 2017, mon cancer du sein a de nouveau changé la donne : convaincue que ma maladie était un signal d’alerte de mon corps qu’il n’en pouvait plus, j’ai arrêté le sucre raffiné du jour au lendemain. Sevrage radical. Ça m’a beaucoup aidée, mais le pain, les fruits, les céréales sont devenus de nouveaux « aliments de crise ».
En 2018, je suis passée sous hormonothérapie pour limiter les risques de récidive. Je prends deux médicaments qui me mettent en ménopause artificielle. L’un d’eux, le Tamoxifène, a la réputation de faire grossir. Prendre du poids m’était inimaginable, j’ai nié le truc, mais depuis, j’ai bien dû reconnaître que mon corps ne me passe plus le moindre écart. J’ai encore adapté mon alimentation, ce qui, jusqu’à cet été, ne compensait pas complètement les compulsions. Même si ça ne se voyait pas car je mesure 1,78m, j’avais tendance à grossir, lentement mais sûrement. Ça m’ennuyait car je savais que c’était uniquement à cause de mes crises, ce truc non résolu depuis ma vingtaine. J’avais l’impression qu’en dépit de tous mes efforts pour me rapprocher de moi, je continuais d’être en porte-à-faux avec mon corps.
Qu’as-tu mis en place pour t’en sortir ?
Ma longue psychothérapie m’a aidée à déblayer le terrain des causes profondes, mais ça n’a pas été suffisant. De toute façon, l’expérience m’a appris que, sur ce terrain comme sur beaucoup d’autres, on avance à pas de fourmi, à force d’essais et d’observation. Année après année, j’ai appris à connaître mon organisme – anticiper ses réactions, enregistrer ce qui passe, ce qui ne passe pas – plutôt que d’écouter les autres. Les études, les spécialistes, les ouvrages se contredisent. Il est bon de chercher à s’informer, mais on est le seul juge de paix.
Un avis sur Faites votre glucose révolution, le livre de Jessie Inchauspé ?
Cet été, la fin de l’écriture de mon livre m’a apaisée, y compris à table, mais il y a aussi eu l’effet « glucose goddess », comme Jessie se fait appeler sur son compte Instagram, suivi par un million d’abonnés. Il faut dire que je ne connaissais pas grand-chose à la glycémie. Je faisais souvent une crise d’hypoglycémie après un craquage, mais je ne voyais pas comment j’aurais pu l’éviter puisqu’un craquage, par définition, court-circuite le libre arbitre. J’étais dans le noir, ne comprenant rien à ce qui m’arrivait. Avec ses explications claires, son sens de la formule et sa capacité à extraire l’info clé d’une myriade d’études, la biochimiste Jessie Inchauspé a allumé la lumière dans la pièce. Son but est de nous aider à lisser la courbe de notre glycémie, car cela a pour effet – spectaculaire ! – de stopper les fringales, de libérer de l’énergie, de faire perdre du poids. Je n’ai ni le temps ni l’envie d’entrer dans le détail des explications scientifiques du livre, pour cela je vous encourage à le lire.
En revanche j’aimerais partager avec vous quelques-uns de ses grands principes, ceux qui ont changé les choses pour moi (attention, ça sera forcément approximatif et réducteur, c’est juste pour vous donner une idée) :
Manger les aliments dans le bon ordre : commencer par les fibres, puis les protéines et les graisses, puis les féculents et les sucres en dernier. L’idée, c’est qu’absorbées en début de repas, les fibres des légumes tapissent notre intestin et permettent ainsi au sucre qui arrive ensuite de ne pas passer trop vite dans le sang, et donc de ne pas augmenter notre courbe d’insuline. Le pic d’insuline, c’est ce que l’on cherche à tout prix à éviter, car qui dit pic dit ensuite chute, et c’est au moment de la chute que surgit la fameuse fringale / envie de sucre irrépressible.
Je n’applique pas strictement ce principe car j’aime trop manger mon steak avec mes haricots verts. En revanche, je commence désormais chaque repas par des fibres. Cela m’a fait complètement arrêter de grignoter autre chose que des légumes pendant la préparation du repas. J’ai aussi arrêté de manger des fruits seuls, au goûter par exemple. A contrario, je ne culpabilise plus de manger des frites après mon steak-haricots verts. Et comme j’ai déjà mangé mon plat avant, trois me suffisent. Ce principe est si efficace, je suis parfois tellement calée avec mes fibres, que je n’ai plus envie de grand-chose d’autre après, ce qui ne m’arrivait jamais avant.
Ajouter des légumes au début de chaque repas : en prolongement du premier principe, on ajoute un plat pour manger plus de fibres. Oui, vous avez bien lu : on mange plus. Mais mieux. C’est le retour des traditionnelles crudités en entrée.
Ce principe a eu un gros impact sur nos repas (j’ai embarqué Mark) : je sers systématiquement une salade verte en entrée au déjeuner et le soir à l’apéro on se régale de batônnets de carotte, de radis ou de champignons crus trempés dans du houmous (que Jessie considère comme un aliment végétal). Souvent, ça me cale si bien que ça me fait mon dîner. J’hallucine en écrivant ça, car avant j’étais plutôt du genre à manger beaucoup le soir, mais lisser sa courbe de glycémie réduit considérablement l’appétit. Si si, je vous assure, même le mien, donc peut-être aussi le vôtre.
Lisser la courbe du petit-déj : suivant la même logique qu’indiqué précédemment, mieux vaut éviter de manger du sucre et des féculents en début de journée. Je ne mangeais pas de céréales (la bête noire de Jessie) mais je mangeais beaucoup trop de fruits, et des fruits archi sucrés. J’ai donc réduit la quantité de fruits, et j’y vais mollo sur les figues même si c’est ce qui pousse dans mon jardin. À la place, je commence par des légumes verts (j’aime beaucoup les petits-déj’ salés) : haricots verts, asperges ou cœurs d’artichaut assaisonnés.
Tous les sucres se valent : ils sont tous constitués de molécules de glucose et de fructose et provoquent donc tous des pics. Je savais déjà que les fruits et le pain étaient pleins de sucre, mais on ne m’avait jamais expliqué les choses comme ça. Comprendre cette donnée m’a permis de remarquer plus facilement les effets directs de ce que je mangeais et de m’adapter.
Après les repas, bougez : manger puis solliciter ses muscles rapidement permet de lisser la courbe de sa glycémie (car l’excès de glucose est immédiatement utilisé). Comme pour le fait de manger une entrée, Jessie nous incite à revenir au bon sens populaire de la balade digestive. J’ai essayé et aussitôt senti la différence : on a beaucoup plus d’énergie pour le reste de la journée.
Ces nouvelles habitudes m’aident énormément au quotidien. Ça n’est pas pour autant une assurance tout risque contre les crises, je continue de craquer, mais moins souvent.
Penses-tu que l’arrêt de l’alcool ait joué un rôle majeur dans l’amélioration de la situation ?
Absolument. Je n’aime pas trop l’alcool, mais j’aime les cocktails parce que c’est sucré. Pendant des années, j’ai continué à m’enfiler des cosmos, des spritz et des negronis en dépit de mon arrêt du sucre. Renoncer à ce plaisir « social » alors que j’avais déjà renoncé à la plupart des desserts, c’était au-dessus de mes forces et difficile à faire accepter par mon entourage.
Je ne tiens pas l’alcool, je suis donc incapable de boire plus de deux cocktails dans une même soirée, je m’endors avant. En revanche, les effets d’un cocktail sont chez moi délétères : un verre par jour pendant une semaine de vacances et c’est l’éruption assurée de psoriasis et d’eczéma. Alimentairement, c’est pire : l’alcool ouvre les vannes, après un cocktail tout le cadre que je me suis soigneusement construit vole en éclat et je mange n’importe quoi. Je passe une super soirée, je ne prends jamais de cuite, mais au réveil je me fais l’effet de Sisyphe de retour au pied de la colline, condamné à renouveler éternellement ses efforts pour hisser son rocher tout en haut.
Au fil du temps, j’ai réussi à arrêter les cocktails en hiver, mais il y a encore quelques mois, mes apéros au negroni avec Mark constituaient un de mes grands plaisirs estivaux. Les crises qui suivaient m’ont motivée pour faire ce qui me réussit le mieux : l’abstinence totale. Début août, à force d’écrire dans mon journal le matin que je me sentais mal parce que j’avais bu un négroni la veille et trop mangé ensuite, j’ai arrêté. Mes craquages se sont d'autant plus vite espacés que j'ai arrêté le Coca Zéro en même temps, qui avait tendance à me rendre agressive et qui perturbait ma digestion.
Vous demander sur Instagram des idées d’apéros sans alcool m’a boostée. J’ai réalisé que nous étions nombreuses à avoir les mêmes envies et que le marché s’était adapté, proposant un choix désormais suffisamment large pour que je prenne aussi du plaisir à ce moment-là de la journée (pour le moment Gimber + eau gazeuse est mon mix préféré, je vous en reparlerai plus longuement bientôt).
Avec le recul de quelques semaines, je réalise que l’arrêt de l’alcool et du Coca Zéro a été crucial pour moi. C’était les dernières choses dont je devais me libérer pour retrouver l’équilibre. Jusqu’à quand ? Aucune idée. Je sais d’expérience qu’il y aura des myriades de rechutes. Mais j’ai maintenant une boîte à outils « anti-crise » suffisamment bien garnie pour ne plus redouter les moments de faiblesse. Je vous la présenterai dans une seconde newsletter, après la rentrée.
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