Ces derniers jours, je suis tombée en courant, je me suis mordu l’intérieur de la joue, j’ai oublié mes courses Picard sur la banquette arrière… Autant de micro-signes que j’ai interprétés comme des alertes : attention, tu es en surchauffe, tu mords (littéralement) sur tes réserves, il ne faudrait pas que ça dure trop longtemps.
Je savais que cette rentrée aurait un rythme soutenu. Je lançais ma deuxième newsletter et j’avais en même temps plusieurs très beaux partenariats à préparer. Comme pour beaucoup de gens, l’automne est une période intense, durant laquelle j’initie de nouveaux projets et je suis plus sollicitée que d’habitude. Je m’y étais préparée cet été : j’avais pensé les premiers numéros de ma nouvelle newsletter comme des ressources pour vous, mais pour moi aussi ; j’avais réorganisé ma façon de travailler. J’avais anticipé ce que je pouvais. Deux inconnues demeuraient : vos réactions à cette lettre payante et le temps qu’elle me prendrait réellement au quotidien. J’avais aussi du mal à évaluer le niveau de stress qui accompagnerait ce plongeon dans l’inconnu.
Tout s’est avéré plus fort que prévu : votre enthousiasme, la charge de travail, la tension nerveuse. En quelques jours, j’ai senti un basculement. Cette proposition que j’avais peaufinée avec un soin maniaque, non seulement vous la validiez en nombre, mais elle changeait notre relation. Comme à d’autres étapes charnières de ma vie – mon mariage, la naissance de mon fils, l’annonce de mon cancer, mon départ de L’Express – certaines lectrices se sont rapprochées. Mon annonce a ouvert des vannes, libéré une affection, consolidé une confiance mutuelle. Une partie d’entre vous s’est abonnée, et cet abonnement a scellé une entente que même les soucis techniques de Substack n’auraient pu entraver.
Nous avons échangé beaucoup de mails. Alors que je me confondais en excuses, vous m’avez écrit votre attachement, votre plaisir à me lire depuis 5, 10, 15 ans. Vous m’avez parlé de mon blog Café Mode, de mon amitié avec Garance Doré, d’Un cancer pas si grave qui fut votre compagnon de maladie, de L’âge bête qui vous replongea dans votre adolescence. Vous m’avez envoyé une vague d’amour.
Sur un mur de mon bureau, j’ai recopié cette définition de l’utopie : « Construction imaginaire et rigoureuse d’une société qui constitue, par rapport à celui qui la réalise, un idéal. » Depuis que je suis indépendante, j’affine ma propre construction imaginaire : celle de vous et moi qui avançons ensemble vers une meilleure connaissance de nous-mêmes. Je doute souvent de ma méthode pour me rapprocher de mon idéal, mais depuis trois semaines, vos réactions ont (momentanément) balayé ces doutes. Ce chemin de traverse que je me suis choisi, c’est le mien, c’est le bon. Vous m’autorisez à croire que je peux vivre de ma plume et de mes textes pour vous.
Alors évidemment, ça ne se fait pas sans heurts. Je suis loin d’avoir trouvé mon allure de croisière. Chaque newsletter du dimanche me prend plus de temps que ce que j’avais estimé. Les projets se chevauchent. La peur de ne pas tenir le rythme n’est jamais loin. Mais je la connais bien, cette peur. J’ai appris à bosser avec elle. Elle ne me submerge plus.
Sur Instagram, je me cherche. Ça non plus, ça ne m’inquiète pas. Je suis coach digitale, je sais à quel point ces tâtonnements sont fréquents – voire nécessaires – dans les moments de transition. Sur mon compte, j’ai envie de dire plein de choses, mais mon énergie et mon temps sont limités. Je préfère m’investir hors de cet espace, dans mes recherches et dans mes textes. Je devine que ce n’est que temporaire. J’aime trop ce réseau pour m’en écarter longtemps.
Mais ce n’est pas qu’une affaire de temps et d’énergie. Comment raconter en ligne ce qui palpite sous la surface ? Comment me montrer sans tomber dans l’étalage ? Comment me raconter sans me laisser emporter par mon ego ? Où placer le curseur ? Ces interrogations me donnent envie de revenir à l’autoportrait. J’aime le selfie sans fard, sans quête de validation, uniquement pour dire où j’en suis. Un vrai autoportrait ne ment pas. L’accompagner de quelques mots, poster, poursuivre ma quête loin du bruit.
Je repense à Roger-Pol Droit, entendu il y a quelques jours au micro de L’Heure philo. Le sujet de l’émission était le voyage, mais c’est ce qu’il a dit sur notre façon de marcher qui m’a marquée. « Ce que la marche met en œuvre, c’est une chute. Si vous êtes debout, pour commencer à marcher, vous devez vous incliner un peu, commencer à vous faire tomber et là, vous avancez le pied. Il faut ensuite répéter cette chute. C’est donc en permanence une chute entretenue, amorcée, empêchée, recommencée. Ce qui nous fait avancer, c’est ce déséquilibre. » Et lorsque ce déséquilibre se vit à plusieurs, il est encore plus fort.
Il y a quelques jours, une lectrice m’a toutefois signifié qu’au lancement de ma newsletter payante, elle s’était sentie exclue. Elle aurait aimé s’y abonner, mais elle ne pouvait se l’offrir et le vivait comme une mise à l’écart. Son message m’a beaucoup touchée. Aux personnes qui ressentent la même chose, j’aimerais dire que ce nouveau rendez-vous dominical est important pour moi, mais qu’il n’est pas tout. Ma newsletter du vendredi demeure essentielle et gratuite. Je passe toujours autant de temps à y déposer mes états d’âme, et j’y guette avec toujours autant d’intérêt vos réactions. Car ce qui me nourrit par dessus tout, c’est le dialogue.
Chère Géraldine, je constate depuis quelques semaines que toutes les "news letters" auxquelles j'étais abonnée deviennent payantes. Je ne peux pas me permettre ce budget. (je reste pleinement consciente du travail que cela représente) c'est la raison pour laquelle je tiens à vous remercier chaleureusement de conserver une lettre gratuite qui ne requière pas d'abonnement au bout de quelques lignes comme tant d'autres. Je peux donc continuer à vous lire avec bonheur. Mille mercis pour cela. Je vous souhaite un excellent week-end.
Merci Geraldine pour cette belle et franche newsletter. Je suis une vieille dame qui vous suit et vous admire depuis des années. Attention toutefois à votre rythme. Prenez bien soin de vous.