Photo Laurence Revol
Je n’en reviens pas de la chance que l’on a eue de pouvoir changer de vie il y a trois ans. D’avoir pu quitter Paris pour Montélimar quand on l’a décidé, que Mark ait eu l’accord de son chef pour travailler à distance, d’avoir pu vendre notre appartement de Clichy dans de bonnes conditions, d’avoir trouvé cette maison, que nos parents aient pu déménager en même temps. Le soir, quand je suis assise avec Mark et Gustave à cette grande table que l’on voit sur la photo, j’éprouve un profond sentiment de gratitude.
En novembre, cela fera trois ans que nous avons emménagé là. Cette semaine, avec un peu d’avance, j’ai envie de faire le point sur ma relation à ce cadre de vie que nous nous sommes choisi.
Arrive-t-il un moment où l’on décide que la décoration de son intérieur est achevée ? Les passionnés envisagent probablement l’aménagement de l’habitat comme un work-in-progress permanent. Il y a trois ans, nous avions tant de choix à faire dans ce domaine que j’ai pu, un moment, croire que j’étais devenue, moi aussi, une fondue de déco. Aujourd’hui, je sais qu’il n’en est rien. Dans ma tête, j’ai refermé le dossier depuis un moment déjà, et ce choix, inconscient jusqu’à ce que je vous en parle, me soulage.
Notre intérieur est pourtant loin d’être parfait. Beaucoup trouveraient qu’il manque des tapis par terre, des cadres aux murs. Moi-même, je caresse encore l’idée d’accrocher un miroir au-dessus de deux lavabos, de trouver une table pour la salle de bain de la chambre d’amis. Mais au fond j’aime l’impression de vide que ces manques supposés me laissent. J’aime la sensation d’espace que cela me procure. Moi qui bascule si vite dans le trop-plein, j’apprécie que l’on se soit arrêtés à temps. Nous n’avons pas besoin de plus. Au contraire : ces derniers mois, j’ai cessé de me servir de la cave comme d’un débarras. Cet été, je l’ai vidée de la vaisselle que je n’utilisais pas. Et entre deux séances de deep work, j’aime descendre y faire un peu de tri.
Mon soulagement s’accompagne d’un besoin accru d’intériorité. Quand nous avons emménagé, nous l’avons fait de manière très ouverte. Nous en avons parlé en ligne. J’ai documenté l’évolution des travaux sur Instagram, je vous ai consultées sur l’agencement des pièces, le choix du mobilier, l’entretien du jardin. J’ai adoré faire ça. Vous nous avez énormément aidés et je vous en remercie. Aujourd’hui encore, je prends plaisir à évoquer ce sujet avec vous. Mais je constate que, dans le même temps, je fais moins de photos, je « montre moins ». Et que nous invitons moins aussi. Nous faisons moins de dîners, nous recevons moins d’amis le week-end. Notre intérieur est devenu plus… intérieur.
Par ailleurs, nous continuons d’apprendre ce que c’est que de vivre dans une maison construite il y a 60 ans. Il y a quelques jours, en discutant avec le plombier venu mettre fin à une nième fuite d’eau, je me suis surprise à lui présenter notre demeure comme « une vieille dame ». Je me suis aussitôt reprise, elle n’avait que 60 ans après tout. À cet âge, je ne me considérerais pas comme vieille, et en années-maison, elle paraitrait bien jeune face à un manoir du XIXe siècle. Je ne peux toutefois m’empêcher de ressentir une forme de « poids de l’ancien ». Ma sœur – professionnelle de l’immobilier – nous avait avertis des charges qu’une telle habitation impliquerait, mais j’ai encore du mal à me faire à l’idée de vivre dans un endroit nécessitant un degré soutenu d’entretien.
Cela dit, je suis de plus en plus attachée au fait que cette maison reste « dans son jus ». En juillet, à la suite d’une autre fuite d’eau, nous avons dû envisager de refaire la salle de bain. Elle date des années 70, les carreaux aux murs ont des trous, le retrait d’un bidet a laissé des traces. À notre arrivée, nous savions qu’il faudrait tôt ou tard s’attaquer à cette pièce a priori sans charme. Je m’imaginais même que repenser sa déco m’exciterait. Voir l’échéance brusquement se rapprocher m’a dessillée : bien que désuet, l’agencement me convient, le bleu des murs m’apaise et pour rien au monde je ne voudrais troquer la double vasque vintage pour un lavabo moderne. Finalement, les travaux ont pu être évités. Depuis, mon amour pour cette pièce ne cesse de grandir.
Avec mon bureau, c’est encore une autre histoire. En mai dernier, je vous écrivais ici à quel point j’aborde mon espace de travail comme un lieu d’expérimentations et d’améliorations constantes. Je vous avais aussi fait part d’une légère frustration : en dépit de mes efforts, je peinais à m’y sentir vraiment bien.
À la suite de cette newsletter, Axelle Lapostolle m’a contactée. Psychologue et consultante en feng shui, elle m’a proposé son aide. Je lui ai envoyé les plans de la maison, des photos de la pièce. Au cours de notre rendez-vous, elle a souligné des points positifs, a suggéré des améliorations, mais m’a aussi informée que j’avais mis mon bureau dans le secteur pour moi le plus défavorable de la maison, car il y règne l’énergie néfaste du Jue Ming. Ne me laissant pas le temps de m’inquiéter, elle a ajouté que j’avais instinctivement trouvé les moyens d’annuler son effet, notamment en orientant ma table de travail de manière à activer les bonnes énergies.
Cette discussion avec Axelle m’a permis de mettre des mots sur un ressenti. Je n’avais pas rêvé. Il y avait bien quelque chose de dissonant dans les vibrations de cette pièce, que je percevais d’ailleurs comme « la chambre de mes contradictions ». Avec Mark, nous avons envisagé d’autres configurations, pour arriver à la conclusion que c’était, pour le moment, la seule possible. Je me dis aussi que cette pièce correspond à mon rapport complexe au travail. Et depuis que j’ai ajouté une table à la droite de mon desk pour former un L, je m’y sens tellement mieux que je ne pense plus à cette histoire de Jue Ming.
Photo Laurence Revol
En revanche, je songe toujours à insonoriser la pièce. Un revêtement au plafond pourrait en effet en améliorer grandement l’acoustique. J’en profiterais pour faire poser un ventilo au-dessus de ma tête. Vous noterez donc que je ne m’intéresse plus à la déco sauf quand il s’agit de mon bureau chéri.
Qu’en est-il de notre ancrage dans la région ? Comme l’écrit dans sa newsletter Élise Hameau, Française installée depuis deux ans à Lisbonne : « Je ne suis plus une touriste ». J’ai cessé de vouloir quadriller la Drôme et l’Ardèche le week-end, je ne m’en veux plus de ne pas trouver le temps d’aller marcher dans le Vercors ou les Baronnies, je me suis calmée sur les restos à tester. Mon FOMO s’est dissout dans l’azur du ciel. Je vois deux raisons à cela. L’attrait de la nouveauté s’est émoussé, mais j’ai surtout clarifié mes priorités : mon but dans la vie, c’est d’écrire. Je peux bien sûr emporter mes carnets partout, mais cet exercice requiert une telle concentration que je préfère m’y atteler dans l’espace clos de mon bureau. Cela n’empêche pas les escapades : demain nous serons à Grenoble et j’aime toujours autant me balader dans les villages alentour. J’ai juste adopté un rythme plus tranquille et plus réfléchi.
Plus ça va, plus je savoure mes allers-retours à Paris. 3 jours, deux nuits une fois par mois. Séjour après séjour, j’ajuste chaque contour. Je me rends toujours au même hôtel (l’Ibis Budget de la mairie de Clichy), où j’ai ma chambre attitrée. Il y a une part de frustration incompressible – je ne peux pas voir toutes les personnes que j’aimerais voir, je ne peux pas visiter toutes les expos qui m’attirent – mais je ne voudrais pas pour autant rester plus longtemps. Au bout de trois jours, ivre de conversations et de sollicitations, je n’aspire plus qu’à un retour au calme.
« Est-ce qu’on s’habille différemment à Paris et en région ? » se demandait récemment sur Instagram Delphine Desneiges, Parisienne partie vivre à Toulon. J’ai trouvé sa question excellente, et comme elle, j’ai envie de répondre « Oui, mais je ne sais pas trop expliquer pourquoi ! ». Depuis mon départ dans le sud, je ne porte plus que des baskets, mais qui me dit que j’aurais continué à porter de « vraies chaussures » si j’étais restée à Paris ? En tout cas, les faits sont là : ma collection de boots et de derbies prend la poussière, tout comme mes jupes d’hiver (je ne veux plus porter de collants) et mes manteaux en laine. Je suis en revanche ravie d’avoir enfin trouvé, cette année, la parka et les bottines de pluie parfaites pour me protéger des orages drômois. Loin de Paris, mon vestiaire n’a jamais été aussi fonctionnel.
Bon week-end, à dimanche !
Et concernant les tenues vestimentaires, il paraît que les grenoblois sont surnommés « les anoraks « ! Alors pour demain , nul besoin de sophistication. 😉
Depuis 4 ans dans notre maison je me retrouve beaucoup dans ce que tu partages (à la différence que nos travaux ne sont pas terminés...) mais la frénésie de la décoration s'est un peu apaisée et j'ai l'impression que la maison devient ce qu'elle doit être : un lieu chaleureux dans lequel on se sent bien et qui nous correspond et non pas un magazine de décoration. Et pour la tenue: je n'ai jamais été parisienne mais je pense que la différence est surtout liée au au climat et à la différence entre la vie en maison et la vie en appartement 😉