Montrer (ou pas) ses photos de vacances sur Instagram
« Je n’en peux plus de voir des stories qui ne racontent rien. »
Photo prise à Nice samedi dernier.
Mercredi, quand j’ai annoncé sur Instagram mon sujet de newsletter, Myriam m’a aussitôt apporté son témoignage. Journaliste parisienne, elle passe le mois d’août en Sicile. « Cet été, j’ai décidé que je ne posterai pas sur mes vacances », m’a-t-elle déclaré. Une décision mûrement réfléchie pour cette habituée des réseaux. « En général, j’aime bien barouder et utiliser les stories comme un carnet de bord. Mais cette année, ce que je vois sur Insta me pousse à m’interroger sur leur fonction. Il s’agit surtout de beaux paysages pour montrer l’endroit de rêve où l’on est. Je n’en peux plus de voir des images qui ne racontent rien. Moi, je veux savoir si tu as galéré pour arriver à la crique que tu nous montres. »
Elle-même allait au-delà du simple album de vacances et aimait partager recommandations et bons plans, mais le processus a fini par lui peser. « Ça m’amusait, mais c’était aussi devenu une charge mentale. En ce moment, je dîne dans des endroits magnifiques, mais j’oublie mon téléphone. Ces moments m’appartiennent. »
Je comprends Myriam. Le week-end dernier à Nice, en fin de journée, j’étais tiraillée entre l’envie de mettre en ligne mes photos du jour et celle d’ouvrir les guides de la ville que je venais de m’offrir. Pour moi, poster en vacances n’est pas une charge mentale, ce n’est que du plaisir – sans quoi je m’abstiendrais –, mais c’est un temps que je ne passe pas à autre chose. À l’arrivée, je dois bien reconnaître que si j’ai réussi à parcourir mes livres, j’étais quand même souvent sur mon téléphone à faire des posts et des stories, puis à échanger avec vous.
Il faut dire que les arguments en faveur du partage de photos de vacances sur Instagram ne manquent pas. Quand j’ai lancé le débat sur mon compte, avançant que certaines personnes se retenaient par crainte de paraître indécentes, une majorité a préféré souligner les aspects positifs de la démarche. D’abord, il y a la beauté des images. Elles nous transportent, littéralement. Voir la mer, même sur petit écran, permet de s’évader et de vivre ses vacances par procuration. Ensuite, il y a la joie qu’elles véhiculent : « Que les gens qui ont la chance de kiffer en profitent, estime @tokyobanhbao. Ça fait plaisir à voir aussi, même si on n’a pas la possibilité de partir dans les destinations montrées. » Enfin, ça donne des idées. On découvre de nouveaux lieux, on se note de bonnes adresses en vue d’une prochaine visite. « J’ai peu voyagé dans ma vie, Instagram me donne l’élan qui me manquait », confiait l’une d’entre vous en commentaire.
Le terrain n’en demeure pas moins délicat. Montrer ses vacances en ligne, c’est prendre le risque de blesser ceux qui ne partent pas. « Fin juin, je saturais déjà des photos de vacances des autres, ce qui m’a fait déconnecter d’Instagram, m’a écrit Amélie. Je ne supportais pas d’être la tête dans le guidon et de voir tous ces gens se la couler douce. Du coup, cette année, je n’ai posté aucune photo de mes vacances par respect pour les travailleurs ! »
Les inégalités sociales sont d’autant plus saillantes sur les réseaux sociaux que l’on y suit de plus en plus l’actualité. Dans nos feeds, les photos de vacances en Grèce côtoient celles des incendies de forêt. « Ce qui est insupportable, ce sont les gens qui font fi des drames qui se jouent tout à côté d’eux, l’an passé dans les Landes, cette année en Grèce », remarquait Cécile. Je comprends que le contraste choque… mais partir en vacances, n’est-ce pas aussi se couper de ce qui nous pèse le reste du temps ? Doit-on avoir conscience nuit et jour des catastrophes en cours ?
On en vient à la question de l’écologie. « Ce qui me heurte, c’est le fait de voir autant de vacances en transport aérien alors que l’on sait. Ça, j’ai du mal à ne pas juger », pointe Ségolène. C’est plus fort que moi, dès que l’on évoque la question du bilan carbone des voyages en avion, je repense au post mythique de Kylie Jenner l’année dernière. Vous savez, celui dans lequel, face à deux jets privés, elle demandait à son compagnon « You wanna take mine or yours? » (« On prend le tien ou le mien ? ») :
Aujourd’hui, contrairement à Kylie Jenner, le commun des mortels sait qu’il vaut mieux éviter l’avion. Mais qui suis-je pour juger des voyages de chacun, moi qui utilise tous les jours ma voiture et qui ai eu la chance d’aller jusqu’en Inde et au Japon par le passé ? Je préfère laisser à chacun le soin de faire ses choix, et me réjouir pour ceux qui découvrent des contrées lointaines. Cela n’empêche pas le bon sens. Comme je le disais récemment sur Instagram, je me sens concernée par la question du tourisme de masse. J’évite donc de suivre des comptes qui manquent de discernement.
Plus généralement, je suis sensible à l’intention derrière l’image postée. Comme le résume Louise Hourcade, « J’aime quand je sens que la personne a vraiment plaisir à partager et qu’elle le fait avec soin et d’une façon qui lui est propre. Si j’ai l’impression que c’est pour frimer ou juste combler le vide pendant les vacances, ça n’est pas très grave, mais ça va moins me toucher ».
L’équilibre n’est pas toujours facile à trouver. « Je viens de passer des vacances très instagrammables, mais j’ai réalisé qu’elles cachaient la vérité, reconnaît Natasha. La foule, la saleté, le bruit, les queues, les transports bondés… on montre le rêve et pas vraiment la réalité. J’étais en Italie et quand je revois les photos… elles ne correspondent pas à mon ressenti. »
Diantre, l’exercice s’avère plus périlleux qu’il n’y paraissait au premier abord, n’est-ce pas ? Cette complexité, tant pour l’émetteur que pour le récepteur de l’image, invite à s’écouter. Personne ne sait mieux que nous quelle attitude adopter pour se préserver. Pour revenir à la crainte de paraître indécent, j’ai bien aimé cette remarque de @labraking1617 : « On est toujours l’indécent de quelqu’un. Il m’arrive d’être agacée par le côté ‘consommation et optimisation’ d’un lieu, mais je prends la responsabilité de cet agacement. Si l’on pouvait tous non pas arrêter de juger, mais prendre le temps d’observer nos jugements »… nos vacances n’en seraient que plus relaxantes.
Je vous envoie plein de bisous de Montélimar,
Géraldine
PS : la semaine dernière, je vous avais annoncé une conférence sur la reconversion professionnelle le 17 août avec l’entrepreneur Alexandre Dana. Finalement, j’ai décidé que les circonstances n’étaient pas réunies pour l’organiser à ce moment-là. Toutes mes excuses aux personnes qui s’étaient déjà inscrites, ce n’est que partie remise.
J’aime beaucoup la justesse de vos propos. Il n’y a jamais de jugement (c’est sans doute la plaie des réseaux !), mais toujours un questionnement personnel qui rappelle que le monde n’est pas tout blanc ou tout noir… et nous pousse à nous interroger et nous remettre en question. Merci pour cela !
J’adore partager mes photos de vacances, l’émotion que les endroits m’ont procurée, la beauté, la trace de l’artisanat et des traditions, les rencontres insolites. Mes amis me disent souvent : c’est top, on voyage avec toi! C’est ce que j’aime, le partage. Et la trace des souvenirs avec mes filles pour lesquelles j’imprime un album par an, pour leurs vieux jours