Parfois, la maternité m’apparaît comme une succession de vertiges. Quand j’ai voulu avoir un enfant, je savais que je m’engageais aux nuits courtes, à l’amour inconditionnel, au temps qui s’accélère… Au-delà, je me doutais bien que ce « big bang » me transformerait et changerait ma vision du monde de plein de manières. Je ne pouvais simplement pas deviner lesquelles.
L’un des premiers chocs est survenu quelques mois après la naissance de Gustave, il y a 13 ans. Je me revois dans sa chambre. Je l’avais couché sur sa table à langer. Il me souriait en battant des pieds, la confiance incarnée. J’avais déjà conscience de sa fragilité physique : avant même d’avoir mon bébé, je craignais de faire tomber ceux des autres. Mais ce qui m’est apparu alors était d’un autre ordre. J’ai pris la mesure du contraste entre sa vulnérabilité et mon pouvoir sur lui. Cet être minuscule et sans défense dépendait de moi pour bien grandir. Quelle responsabilité ! Bien sûr, derrière la porte, il y avait le papa, la famille, la société. Tout cela posait un cadre. Mais ce qui comptait vraiment, c’était ce qui se jouait entre lui et moi, ce qu’on arriverait à tisser ensemble. Le pacte que je lisais dans ses yeux revêtait un caractère absolu. Il s’en remettait à moi.
Plus trouble encore, il y avait la sensualité. J’avais toujours entendu des mères, des tantes, des grands-mères dire à des bébés qu’elles avaient envie de les croquer. « On en mangerait », lançaient-elles en les cajolant. Je trouvais cela charmant. Je n’imaginais pas qu’il y avait là quelque chose de littéral. Les joues roses, les bras joufflus, le parfum lacté de mon fils étaient si charnels qu’ils m’inspiraient un amour dévorant. J’avais envie de l’avaler. Je crois que Marie Darrieussecq parle très bien de cette sensation étrange dans Le bébé, l’un des meilleurs livres que j’ai lus sur la découverte de la maternité, mais que je ne peux vous citer car je l’ai prêté et qu’on ne me l’a pas rendu, le destin de cette littérature.
Poursuivons dans les zones grises : je n’aurais jamais cru qu’un enfant – mon enfant – serait capable de libérer en moi de tels déferlements de rage. Là encore, je me revois dans sa chambre, plus tard, à bout de nerfs, lui hurlant dessus parce qu’il bloquait sur un truc pile au moment où on était en retard pour l’école. J’étais si bien conditionnée que je n’ai jamais levé la main sur lui, mais je lui serrais le bras avec une telle force que je lisais la peur dans ses yeux, ce qui par ricochet m’effrayait assez pour faire retomber l’orage. Je passais ensuite de longs moments chez mon psy à démêler le pourquoi du comment de ces réactions en chaîne, dont il n’était que le malheureux déclencheur.
À d’autres moments, il a su faire jaillir la lumière en moi. Alors que je ne chante jamais, je lui ai murmuré Le tourbillon de la vie tous les soirs, pendant des années, au-dessus de son lit. Fan de Jules et Jim, de Jeanne Moreau, de Truffaut, j’avais décidé que cette chanson serait sa berceuse. Il l’attendait, en redemandait, et moi je m’étonnais de ma constance et de ma mémoire (j’ai évidemment tout oublié depuis).
À sa manière, il m’a ouverte à la nature. Avide de calme, d’air pur, de verdure, c’est lui qui nous a poussés à quitter Paris, au moment des confinements, chose inimaginable à l’époque. Il aime le train car il y voit un moyen de se nourrir de paysages préservés, et cela me fait aimer les TER et les campagnes, moi l’ex-banlieusarde qui n’a longtemps eu d’yeux que pour la capitale. Il aime la lune, le ciel, la météo. Avec lui j’apprends à regarder les nuages autrement.
Et puis, depuis un an, nous sommes passés aux choses sérieuses avec son entrée dans l’adolescence. Je me suis mise à guetter les turbulences, mais je n’avais pas anticipé le sentiment d’impuissance. Je suis passée par là, j’ai envie de l’avertir, de lui expliquer, de le consoler, mais par moments, quand je parle, les mots tombent à l’eau, les caresses glissent, l’amour ne suffit pas. La mue doit se vivre et s’éprouver.
« L’adolescence, c’est être confronté au fait qu’on ne te laisse pas faire ce que tu veux », résumait Mark l’autre jour, alors que notre fils venait de claquer la porte après une discussion houleuse. Dans ces moments, deux options s’offrent à lui : le compromis ou la résistance. Dans les deux cas, ma position de parent me paraît difficile à tenir. Ayant l’impression de m’être moi-même souvent pliée trop docilement aux règles, je n’ai pas envie de l’inciter à céder sans broncher… mais je sais aussi qu’il ne pourra pas passer sa vie à faire ce qui lui plaît.
Tout cela m’amène à ma plus grande surprise en tant que mère : la redécouverte régulière que ce rôle est à plein temps. La maternité a beau avoir été un choix, il m’arrive de me sentir comme la reine Elizabeth dans The Crown. Vous savez, quand le pays traverse des crises, que les premiers ministres se succèdent et qu’elle reste en poste, sans possibilité de démissionner. Souvent, je n’ai pas envie de jouer avec lui, ni même de l’écouter. J’ai envie qu’il m’oublie et me laisse travailler. Je refuse que mon enfant prenne toute la place, et je refuse de culpabiliser de penser ainsi. Je me contente d’essayer d’être une « good enough mother », une mère suffisamment bonne, comme le suggérait le pédiatre Donald Winnicott.
Mon fils me reproche parfois mon manque de disponibilité, mais la plupart du temps, il s’en accommode. Il s’adapte. L’acuité de son regard sur moi me bluffe. « J’adore quand maman rit, parce que c’est rare », a-t-il lancé un jour à son père. Anxiété, variations d’humeur, troubles du comportement alimentaire… il connaît toutes mes failles, et les accueille avec une surprenante tendresse.
Hier soir, je n’arrivais pas à boucler cette newsletter. À 20h, il est entré dans mon bureau et a décrété que ma journée de travail était terminée. « Viens, c’est l’heure de ma pizza, j’ai envie qu’on passe notre vendredi soir ensemble », m’a-t-il dit. Mark est en voyage, on n’était que tous les deux. Je l’ai suivi. Il voulait que l’on regarde un film ensemble. J’ai proposé la série La fièvre. On s’est enfilé trois épisodes. Libres, complices, heureux.
Comment créer son panneau d’inspiration : replay de mon atelier
Mercredi dernier j’ai tenu sur Zoom le live de mon atelier sur les mood boards, vision boards et autres tableaux d’inspiration.
Au programme : 10 étapes pour vous ouvrir aux images qui vous font du bien et passer à l’action.
Une conférence dans la continuité de mes ateliers précédents sur le flot de pensées, la concentration, les habitudes, le flow et le deep work. Mon but est toujours le même : proposer des outils pour se concentrer sur l’essentiel, suggérer des usages loin des modes d’emploi classiques… et apprendre à mieux se connaître.
Merci à toutes les personnes présentes ❤️
Et merci à Jeanne pour son avis :
“Cet atelier donne envie de s’y mettre et de s’entourer de beauté ! Il est à la fois pratique (j’ignorais tout de Google images) et philosophique (les images comme des guides intuitifs). Encore une fois tu nous as gâtés. Merci pour ce travail de fond et pour la manière pédagogue et pop dont tu le partages.”
Très belle lettre qui me touche. Mes trois enfants sont adultes, j'ai parfois eu besoin de ne pas les laisser prendre tout mon temps, eu de la difficulté à savoir où placer le curseur, avec le recul je me dis que j'ai surtout fait comme j'ai pu. Dans les périodes plus difficiles, mon seul principe intangible, ne pas rompre la communication, prête à faire le premier pas après une dispute. Aujourd'hui ils sont loin, on ne s'appelle pas tous les jours, mais ça ne dit rien de la force de ce qui nous lie, ils sont indépendants et j'en suis fière.
Merci Géraldine pour ce partage d’émotions de maman. C’est adorable et plein de tendresse. Même à 73 ans, et bien qu’ils soient adultes, mes enfants me mènent par le bout du nez et ont toujours besoin de moi. Et puis, il y a ma petite fille (4 ans). Avec elle, je revis mes joies de maman, bien plus simplement, différemment, avec plus d’attention, d’écoute. Dans un sens, tout ce petit monde autour de moi me permet de vivre avec beaucoup de bonheur le restant de ma vie.