On a commencé à s’écrire il y a un an et demi. Plus exactement, elle a suivi un de mes ateliers, je l’ai remerciée, elle m’a remerciée en retour, avec une prévenance qui m’a surprise. On a continué de s’envoyer des messages.
Un jour, elle m’a demandé si je serais d’accord pour l’aider à mieux utiliser son compte Instagram. Elle préparait un nouvel album. Elle le faisait seule, sans l’appui d’une maison de disques, ce qui lui permettait de choisir ses collaborateurs et sa manière de faire. Elle avait envie de s’exprimer librement sur les réseaux sociaux.
J’ai accepté avec joie. On s’est vues, on s’est revues. Je lui ai suggéré de lancer sa newsletter, pour tisser une relation directe et intime avec ses fans. Elle s’est emparée de l’outil avec délectation.
En avril, son album Jeanne est sorti, sa tournée a démarré, je suis allée la voir en concert.
Au fil des mois, j’ai fait la connaissance d’une femme drôle, élégante, déterminée. Une gentlewoman.
Sa manière d’inventer son métier m’inspirait. Accepterait-elle de m’en parler en interview ? Elle a accepté. La rencontre a eu lieu mercredi. À 10h du matin, elle m’a ouvert la porte de son appartement parisien, situé près du parc de Belleville. On s’est installées dans son salon, au sol recouvert d’un épais tapis bleu nuit.
Comment se passe ta tournée ? En quoi est-elle différente des précédentes ?
La première chose qui me vient à l’esprit, c’est l’harmonie entre les membres de mon équipe. On a passé beaucoup de temps ensemble, notamment pendant la période de création en résidence, où l’on était en autarcie. J’ai eu l’impression que l’on allait ensemble dans la même direction, avec un bon esprit général. Ça suit ce que j’ai vécu sur l’album, de la relation très fluide avec Benjamin Biolay [qui l’a réalisé] à mon entente avec ma manageuse, mon alliée absolue. C’est sûrement une question de maturité : aujourd’hui, je sais m’entourer.
Travailler avec des partenaires indépendants a changé beaucoup de choses. On s’est choisis. Le producteur de mon spectacle a fait preuve d’une ambition scénographique inédite pour moi. La fabrication du double piano a été très coûteuse – il va falloir faire beaucoup de dates pour l’amortir ! – mais il m’a fait confiance. Les attachées de presse prennent comme un défi personnel tout ce qui arrive autour de l’album. Quand l’une d’elles, Maud, m’a appelée pour me dire qu’on avait la couv’ de Télérama, j’ai senti son émotion, elle était heureuse pour moi et c’était important pour elle. Il ne s’agissait pas d’une case cochée dans un planning idéal.
Travailler ainsi, de manière indépendante, semble assez inhabituel dans le secteur de la musique.
Cette façon de faire est récente, mais nous sommes de plus en plus d’artistes à procéder ainsi. Une amie, Keren Ann, sort un album à la rentrée. Elle a aussi pris ce chemin-là. On n’a plus envie de batailler pour s’imposer dans une maison de disques. J’ai passé l’âge. Quand ma manageuse a commencé à faire écouter les chansons de l’album, l’accueil des labels a été si tiède que cela m’a confortée dans l’envie de faire les choses moi-même.
Une belle preuve d’assurance.
À 30 ans, je n’aurais pas eu la confiance en moi suffisante pour investir mes propres deniers dans un tel projet. Mais en 2019 mon précédent album, L’an 40, a été si peu soutenu par Barclay, mon label de l’époque, que j’étais déterminée à ce que les choses se passent autrement. Jeanne est d’autant plus joyeux que je sortais d’une période très dure.
Revenons à cet incroyable “piano siamois”, sur lequel tu chantes et tu danses durant tes concerts. Comment est-il né ?
Laura Léonard, ma scénographe, en a eu l’idée à l’écoute de La maman et la putain, une des chansons de l’album. Elle s’est dit que j’étais double, elle a voulu célébrer cela. Puis mon utilisation a dépassé l’impulsion de départ : l’ajout d’un escalier m’a permis de monter dessus et d’en faire une piste de danse. C’est la magie du spectacle, on se laisse emporter. Comme si ce piano avait sa vie propre et m’avait soufflé “Profite de moi, amuse-toi !”
Te voir évoluer dessus en talons Louboutin est assez impressionnant. Tu n’avais pas peur de tomber ? Comment te sens-tu, là-haut ?
Un jour j’ai loupé une marche en répétition. Je me suis étalée, tout le monde a flippé, heureusement je n’ai rien eu. Depuis on a ajouté des bandes adhésives phosphorescentes. Je ne dirais pas que c’est facile, mais ça m’est naturel. J’ai une forme de recul, je sais que c’est du spectacle, je ne me sens pas Beyoncé. Quand je m’allonge et que je lève la jambe, je pense à Liza Minnelli, au monde du cabaret. Mes références ne sont pas toujours conscientes, il s’agit plus de présences qui me traversent, dont j’aime prolonger l’histoire avec une dose d’autodérision.
Même tes costumes de scène évoquent Liza Minnelli, ils sont noirs et mettent tes jambes en valeur. Comment les as-tu choisis ?
J’ai deux tenues. Un haut pailleté blanc que je porte sur un pantalon de satin noir, puis un haut et une jupe-short noirs. Pauline Mosconi, ma styliste, les a trouvés chez Ungaro. Je voulais me sentir libre de mes mouvements : sous ma jupe-short, je porte un shorty et un cycliste par-dessus, très court. Sur scène, j’ai besoin de me sentir maintenue, en sécurité totale, même s’il y a peu de tissu.
Pour le moment, je ne les ai pas encore lavés, par fétichisme. J’en prends hyper soin, j’asperge les hauts de pschitts de vodka pour enlever les odeurs, puis ils retournent dans leur housse sans voir la lumière du jour.
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