Lorsque je ferme les yeux et que je plonge en mon for intérieur pour savoir ce que Noël m’évoque, la première image qui me vient est celle de moi, petite fille, en train de jouer avec ma sœur et ma cousine à l’Hippos Gloutons, un jeu de société qui fit fureur dans les années 80. On a moins de 10 ans, on est assises en robes et en collants clairs sur le parquet de l’appartement des grands-parents. On se déchaîne sur la manette devant nous, qui permet à notre hippo d’attraper le max de billes blanches. On joue frénétiquement, à en perdre haleine, on tape si fort sur la manette en plastique que l’une d’elles se brise au cours de la soirée. On s’en fout, on est trois, il y a quatre hippos, on peut continuer les parties, à peine moins fort. On joue dans l’entrée, au pied du sapin ruisselant de guirlandes scintillantes. L’appartement n’est pas grand, les parents n’en peuvent plus du boucan. Surexcitées, on ne les entend pas. Voilà, je crois qu’au fond, c’est encore ça pour moi Noël : l’ivresse d’un soir pas comme les autres, en famille, avec des cadeaux, de la gaité et une déco qui brille.
Plein d’autres souvenirs remontent à la surface. À 48 ans, j’ai eu le temps d’en accumuler. D’habitude, je n’y pense pas trop. Je ne suis pas d’un naturel très nostalgique. Noël, je l’apprécie surtout le soir du réveillon. Mais je viens de finir de lire Écrire sa vie, de la philosophe Marianne Chaillan. Cet essai, auquel je consacrerai ma newsletter de dimanche, a ouvert plein de portes en moi. À la fin, l’autrice cite Gabriel Garcia Marquez : « La vie n’est pas ce que l’on a vécu mais ce dont on se souvient et comment on s’en souvient. » Cette phrase puissante incite à l’examen mémoriel. Quelle mythologie de Noël me suis-je forgée, au fil de mes dizaines de mois de décembre ?
À bien y réfléchir, je suis frappée par l’évolution de chaque rituel. Cette période a ses figures imposées, des traditions si ancrées qu’on pourrait les croire immuables. En fait, elles évoluent. Prenons le sapin. Chez nous, quand j’étais enfant, mes parents achetaient un épicéa. Son parfum m’enivrait, mais au bout d’une semaine dans notre salon bien chauffé, la moitié des épines étaient par terre. J’aurais préféré un Nordmann (même si à l’époque je ne connaissais pas les noms), mais cette variété était moins répandue à l’époque, et trop chère pour nous. Une année, mon oncle, qui avait du goût et des idées, avait entièrement décoré le sien – un immense Nordmann – de clémentines. De vraies clémentines. Comment avait-il réussi à les fixer ? À faire qu’elles ne pourrissent pas ? Mystère, magie de Noël. J’en garde un souvenir éblouissant. Pour moi, aucun sapin n’égalera jamais le sapin constellé de clémentines de mon oncle Pierre.
Ça ne m’empêche pas d’apprécier celui que Mark et Gustave vont acheter chaque année, mais je ne m’investis pas dans cette tâche. D’autant moins que la seule fois où j’ai voulu m’impliquer, l’année de notre arrivée à Montélimar (nouvelle maison, nouvelles habitudes, tout ça), j’ai embouti la voiture en allant l’acheter. Sur le parking de Truffaut, à cause d’un poteau. Depuis, je ne touche plus au sapin. Je me contente de l’admirer et de féliciter mes hommes. C’est un Nordmann, il ne sent rien mais il ne perd pas ses épines. Sur ses branches, les plus jolies décorations sont anglaises : Mark et moi les avions achetées lors d’un voyage à Londres, alors que j’étais enceinte de Gustave.
Ce qui m’amène à l’épineux (!) sujet des décorations de Noël. A priori, je suis plutôt du genre minimaliste. Moins par conviction écologique que parce que je trouve tout moche. C’est d’ailleurs sûrement la raison pour laquelle on avait craqué à Londres quand on avait acheté l’autobus rouge et le taxi brodés : ils étaient d’un raffinement inhabituel. En dehors du sapin, une guirlande lumineuse est suspendue à la cheminée, rien de plus. Chaque année on se dit qu’on aimerait une couronne à la porte d’entrée, mais le choix du modèle et le casse-tête de la fixation ont raison de nos velléités.
La déco aurait pu rester inchangée jusqu’en 2034 si notre fils de 13 ans n’avait pas estimé, il y a quelques jours, que ça ne faisait « pas assez Noël ». J’ai levé les yeux au ciel, argumenté, pour finalement reconnaître que quelques nouveautés ne nous feraient pas de mal. Je l’ai toutefois prévenu : je veux bien ouvrir le dossier, mais je compte prendre mon temps pour choisir des objets que l’on ressortira ensuite tous les ans, jusque bien après son départ de la maison.
Ces histoires de sapin et de décoration sont anecdotiques. Elles disent pourtant quelque chose de mon rapport à l’esprit de Noël. Cet esprit est vivant. Faire évoluer mes rituels de Noël m’intéresse plus que les rituels eux-mêmes. J’adorais les Noëls de mon enfance, j’en garde de merveilleux souvenirs, mais je ne voudrais plus les mêmes aujourd’hui. Et tant mieux, puisqu’ils sont engloutis à jamais.
J’aime l’idée de sculpter mon esprit de Noël. De l’adapter à celle que je suis aujourd’hui. D’écouter mes envies et celles de mes proches. Ces dernières années, sous l’influence de Mark qui adore cette période, j’ai appris à davantage savourer l’Avent. Dès le 1er décembre, le soir, on écoute en boucle ses CD de chansons de Noël. J’ai développé une obsession pour Last Christmas de Wham!. Chanter et danser sur la voix de George Michael après une journée compliquée me lave de mes soucis.
Le soir du réveillon, on dîne en famille. Le menu, toujours le même, a été pensé pour convenir à tous. Le système de cadeaux, rôdé par les années, évite les déconvenues. On est contents de se retrouver, on se régale, mais on se voit souvent, ce n’est plus un moment exceptionnel, ce qui a l’avantage de limiter la pression.
Peu après Noël, mon amie Charlotte vient passer quelques jours chez nous. On ne fait alors plus que boire et manger au coin du feu, discuter, rire, dormir. Plus rien ne peut nous atteindre. Ce moment hors du temps nous fait tant de bien qu’on s’en réjouit des mois à l’avance. On s’en réjouit, mais on n’en attend rien d’autre que du rien. Tout ce que l’on veut, c’est souffler. Ne plus rien faire, ne plus rien prétendre. Nous laisser complètement aller. Peut-être que c’est cela aujourd’hui, mon esprit de Noël : une bulle de chaleur au cœur de l’hiver.
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