Je vous écris cette lettre en retard (comme d’habitude), depuis la salle du restaurant de l’hôtel Nord-Pinus à Arles, où nous passons le week-end Mark et moi. Un rendez-vous annuel que nous chérissons tous les deux, que j’ai craint de voir annulé en raison de la douleur de Mark à la jambe, que finalement nous avons maintenu car il est devenu, depuis 2010, au fil des ans, un élément central de nos étés.
Je vous écris cette lettre au stylo plume. Une première, un essai, une tentative. Je vous le disais déjà la semaine dernière : l’envie de reprendre la plume me titillait. Parce que je prends de plus en plus de plaisir à écrire, je m’autorise à varier les supports et les instruments. Toujours cette curiosité de voir ce qui surgit quand je fais autrement.
À Paris, j’avais déjà essayé plusieurs modèles au Bon Marché, à L’Art du Papier rue Vavin, à la Papeterie du Dôme à Montparnasse. Mais c’est finalement samedi dernier à Avignon que j’ai trouvé celui avec lequel je vous écris aujourd’hui. J’y passais la journée pour déjeuner avec une amie et voir l’expo Eva Jospin au Palais des Papes. Je ne suis pas branchée théâtre, j’avais oublié que c’était le festival, dont je ne connaissais l’ambiance qu’à travers des bribes de reportages au JT de TF1. J’ai adoré la « convivencia » du truc, la façon de le vivre ensemble. Même sans avoir vu aucun spectacle, j’ai senti l’esprit populaire de l’événement, l’ébullition, la concurrence dingue entre les 1500 pièces à l’affiche, qui pousse les troupes à aller se faire connaître dans la rue, à alpaguer les passants, à pitcher leur histoire en trois secondes en dépit de la chaleur et de la foule. Leur enthousiasme était communicatif.
Mais je me perds. C’est ça, écrire à la plume : on prend un tel plaisir à laisser le stylo courir sur la feuille qu’on ne l’arrête plus. Et comme j’écris à l’encre sépia sur laquelle l’effaceur n’a aucune prise, je ne veux pas raturer. Je réfléchis donc vaguement à ce que je veux dire, puis je vais jusqu’au bout de ce que je voulais dire.
J’étais donc à Avignon. J’ai cherché une papeterie et suis tombée sur celle de Maryvonne, La Boutique Signature, 45 rue Joseph Vernet. J’ai hésité car l’enseigne était au nom de Montblanc, une marque beaucoup trop chère, intimidante et masculine pour moi. Mais je suis entrée quand même et j’ai bien fait car Maryvonne s’est avérée la gentillesse et la sensibilité incarnées.
Je lui ai expliqué que je cherchais mon premier stylo plume depuis le collège, que j’avais un budget de 100 euros, que je voulais une plume fine et un modèle photogénique car j’aimais montrer mon quotidien en images sur Instagram.
Elle m’a recommandé le Capless de Pilot, au design particulier du fait de sa plume rétractable. On m’en avait déjà parlé, j’avais commencé par le trouver très laid avec son agrafe à l’envers, sur laquelle on doit s’appuyer pour écrire. Elle m’a aussi expliqué qu’il y avait deux types de plumes : les plumes en acier et les plumes plaquées or. Les premières sont moins souples que les secondes, qui glissent mieux sur le papier et sont évidemment plus chères. Avec mon penchant naturel pour le luxe, je vous laisse imaginer l’impact qu’a eu sur moi cette histoire de « plume or ».
Mais je ne me suis pas décidée immédiatement. J’avais envie de discuter avec Maryvonne. Je voulais savoir si beaucoup de gens venaient encore acheter des stylos plume dans un monde dominé par les claviers. Elle a reconnu que la plupart n’écrit plus que des listes de courses à la main, que c’est pour cette raison qu’elle n’est plus graphologue, mais qu’une minorité continue d’acheter des plumes. Souvent en cadeau, pour marquer la dizaine d’un anniversaire, la réussite à un examen ou un départ à la retraite. Elle semblait confiante, cette minorité perdurerait car le stylo plume était un outil de connexion à soi. « Chaque écriture est unique, et le stylo plume est le meilleur moyen d’exprimer cette singularité », m’a-t-elle déclaré. Je lui ai pris un Capless jaune.
Deux jours plus tard, je recevais le stylo Jacques Herbin que je vous ai montré en reel sur Instagram. Je ne l’attendais pas, c’est un envoi que je dois à l’une d’entre vous, Sandrine Ziegler-Munck, qui a un temps collaboré avec la marque. Ce cadeau tombé du ciel s’avère complémentaire de mon Capless. Avec sa plume moyenne et son encre violette, il me permet de varier les plaisirs. Pour le moment, je ne sais pas lequel je préfère. Je m’exerce aux deux.
À part ça, mercredi j’ai tenu en live mon premier atelier d’écriture en ligne avec certaines d’entre vous (merci !). Le replay est disponible est ici. Il s’agissait de mon 16e cours. Il faut croire que l’expérience paie car, moins stressée que par le passé, j’y ai pris un plaisir inédit. On s’est fait du bien, on s’est mutuellement nourries, c’était un moment fondateur. J’ai réalisé que votre intérêt pour l’écriture était immense, que vous me faisiez confiance pour vous aider à aller plus loin, qu’il ne tenait qu’à moi d’inventer un accompagnement original, personnel et adapté.
J’aime l’idée que cet intérêt commun pour l’écriture cimente notre communauté. Depuis les débuts de mon blog, la mode joue ce rôle de liant, mais l’écriture vient renforcer cette fondation, apportant une dimension plus intérieure.
Il est tard et je ne vous ai pas encore donné des nouvelles de Mark. Depuis deux semaines, il souffre de cruralgie, une douleur aiguë à la cuisse provoquée par la névralgie du nerf crural, situé dans la région de la hanche. La situation ne s’améliore que très lentement, ce qui contraint Mark à une introspection à laquelle il ne s’attendait pas. Heureusement, il a trouvé sur son chemin une ostéopathe qui a su lui parler. Convaincue que son cas relève en partie de la somatisation, elle lui a demandé s’il avait des problèmes familiaux. Il a effectivement des relations difficiles avec certains membres de sa famille, en Angleterre.
L’ostéo lui a recommandé de leur écrire une lettre. « Vous leur dites le fond de votre pensée. Inutile de la leur envoyer, la brûler suffit. »
Cette lettre a été difficile à écrire.
Il me l’a lue hier soir.
Elle lui a permis de verbaliser une honte, une culpabilité, une angoisse dont ni lui ni moi ne mesurions l’étendue.
Ce matin, la douleur n’avait pas disparu, mais il se sentait mieux. L’écriture aide à vivre.
Géraldine
C’est beau tout ce chemin décrit. C’est presque, c’est intime. C’est touchant. Et ça me parle ces écrits. Écrire ou dire, exprimer, communiquer, partager… ça aide tellement ! On ne s’en rend pas compte mais c’est puissant. Les hommes de ma famille, moins mon frère, n’y croient pas. Pour eux je perds mon temps en lecture et écriture inutiles. S’ils savaient comme ça allège, comme ça trie, comme ça soigne ou fait progresser. Notre cerveau, le cœur et tout notre corps nous remercient pour cette « hygiène » intérieure. Comme dans son habitat prendre soin de l’atmosphère, les énergies, l’impalpable c’est si important.
Chère Geraldine,
Quelle joie d’écrire au stylo plume.. je n’utilise que ça depuis de nombreuses années et après de nombreux vagabondages (entre mont-blanc, waterman, Parker,..) j’ai trouvé le stylo qui m’accompagne tous les jours, pour l’écriture de mon journal, de mes notes professionnelles, et de mes listes de courses bien sur! Petit, léger, pas cher et beau, j’ai l’impression d’avoir trouvé un compagnon de route dans le KawecoSport, avec de l’encre noire. C’est étonnant, en trouvant « mon » stylo, j’ai aussi un peu l’impression d’avoir trouvé ma voix..j’espère que vous trouverez aussi votre compagnon de route !