
« Je trouve que je manque de vocabulaire pour mes futures newsletters, ou même pour mes posts et discussions sur les réseaux sociaux, et même juste dans la vraie vie en fin de compte », m’a écrit Maryline dimanche. Elle venait de suivre mon dernier atelier. « Auriez-vous quelques conseils à me donner ? Je lis un livre par mois, mais j'ai l'impression que je ne retiens pas les mots que j'aime dans mes lectures. »
Chère Maryline, j’ai longtemps ressenti la même frustration que vous. Je la ressens encore très souvent. Bien sûr, la lecture est nécessaire et j’y reviendrai, mais j’aimerais d’abord partager avec vous une conviction personnelle, au risque de vous décevoir : les mots manquent toujours. On n’arrive jamais à dire exactement ce que l’on pense, même quand on est très savant et que l’on maîtrise un énorme vocabulaire. Parce que notre esprit est en mouvement, qu’il est traversé de plusieurs pensées en même temps, qu’en gros il ne sait pas lui-même ce qu’il voudrait vraiment dire. Ce que l’on exprime avec nos mots est une réduction nécessaire, une simplification faute de mieux.
Cet espace entre la pensée et le langage a une conséquence heureuse : c’est parce que l’on n’arrive pas à le combler que l’on continue à écrire et à se parler ! Pour tenter (en vain) de préciser sa pensée afin de se faire mieux comprendre. J’écris en ligne depuis vingt ans pour essayer de mettre des mots sur un flot intérieur qui m’échappe. J’achève chaque newsletter en me disant : Caramba, encore raté, je ne suis pas parvenue à retranscrire le quart de la moitié de ce que j’avais en tête. Tant pis, je ferai mieux la fois prochaine.
Développer son vocabulaire est un plaisir en soi et je vais finir par vous dire comment j’enrichis le mien, mais, au fond, je ne suis pas sûre que ce soit ce que vous recherchez. « J'ai du mal à trouver les mots précis et exacts, m’écrivez-vous, alors je fais des phrases à rallonge. Je sais que je pourrais dire la même chose avec moins de mots. » C’est vrai, mais ces mots ne seraient pas forcément compliqués, au contraire. Car le plus dur, ce n’est pas de connaître plein de mots, mais de savoir dire simplement les choses. Dans leurs romans, Marcel Pagnol, Georges Simenon, Anna Gavalda emploient un langage courant. C’est précisément ce qui nous touche chez eux : on a l’impression qu’ils parlent à notre place, avec nos mots de tous les jours.
Cela dit, je comprends que vous ayez envie de vous appuyer sur une palette de mots plus large. Je n’aime pas trop donner de conseils, je vais donc plutôt vous dire comment je m’y prends pour renouveler la mienne.
Lire est le moyen le plus évident de développer son vocabulaire, mais cela ne signifie pas pour autant que l’on doive lire beaucoup. Il s’agit plutôt de se laisser porter par sa curiosité. Moi en tout cas, ce qui m’amuse et m’excite, c’est de varier les registres. Passer d’un roman à un ouvrage de développement personnel, d’un essai philosophique à un livre de vulgarisation scientifique. Le contraste de l’un à l’autre me fait me sentir vivante : je m’ouvre à d’autres mondes, d’autres lexiques, d’autres façons de raisonner. Parfois je n’en saisis qu’un fragment, tant pis, j’attrape ce qui fait tilt et je laisse le reste.
Vous dites que vous avez l’impression de ne pas retenir les mots que vous aimez. C’est humain : le psychologue Hermann Ebbinghaus a prouvé que si l’on ne revient pas sur ce qu’on a lu, six mois plus tard on n’en a retenu que 10%. Pour remédier à l’oubli, je prends des notes. J’écris dans un carnet les définitions de mots qui me troublent. Quand je lis un livre, je souligne puis recopie sur Word les passages qui m’ont marquée. Je liste mes mots préférés, les noms rigolos, les citations qui font mouche. Les relire me les remet en bouche.
Mais lire et relire ne me suffit pas. J’ai aussi besoin d’utiliser ces nouveaux mots pour me les approprier. Tant par l’écriture – à travers mon journal et mes lettres – que par la conversation. Je ne me limite pas aux mots que j’aime d’ailleurs. Avec Mark récemment, on a passé des heures sur le concept d’enshittification, qui encapsule en quatre étapes le cycle de vie d’un réseau social.
« Quand je veux exprimer une émotion, je me surprends à utiliser des mots comme vraiment, tellement, énormément, alors que j'aimerais avoir le vocabulaire pour exprimer la même chose », m’écrivez-vous encore. Quoi de plus difficile en effet que de verbaliser un ressenti ? « Nous n’avons jamais acquis le vocabulaire de notre vie intérieure », observe Thomas d’Ansembourg dans son livre Cessez d’être gentil, soyez vrai. On nous a appris des mots pour désigner ce qui se passe à l’extérieur de nous, bien peu pour décrire ce que nous éprouvons. D’où l’importance d’avoir une démarche active pour rectifier le tir : cette liste des besoins et des sentiments, téléchargeable en format PDF, m’est bien utile pour nommer les émotions qui me traversent.
Cela dit, chère Maryline, tout ce que je viens de vous écrire est à relativiser. La manière avec laquelle on s’empare du langage est propre à chacun. Pendant que je lis et que je fais des listes, j’entends mon fils de 13 ans hurler de rire devant YouTube. Il forge son éloquence au contact des stand-uppers. Je ne suis pas certaine que cela l’aide beaucoup dans ses évaluations écrites de français, mais je constate jour après jour que cela lui apporte un sens du rythme et de la répartie. Une façon bien à lui de cultiver l’amour des mots. Je vous souhaite de trouver la vôtre.
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Dire exactement ce que l'on ressent est si compliqué. J'essaie toujours de trouver le mot juste, du moins le mot qui se rapproche de mon ressenti. Notamment quand j'écris. À l'oral c'est plus compliqué, parfois nous sommes pris au depourvu, désarçonnés par une question... La clé c'est de ne pas se précipiter pour répondre.
Je remercie mon homonyme d'avoir posé cette question car cela semble un peu tabou. Lire plus d'un livre par mois si possible, bien sûr cela dépend de la taille du livre. Et noter les mots, chercher des synonymes c'est quelque chose que je vais essayer.